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GAUTIER Gérard

L’obsédé textuel

Héliogravure, photogravure, reliure, dorure, colorimétrie, optique : à 18 ans, Gérard Gautier connaissait tous les métiers du livre. Admis à l’Ecole Estienne quatre ans plus tôt, juste après le brevet, il était déjà armé pour ce qui allait être sa passion : l’édition. Son père, Pierre Gauthier, avait travaillé comme chromiste héliograveur chez Draeger, l’imprimeur de la Banque de France. Il aurait pu être faux monnayeur : « Il savait corriger les couleurs à l’œil nu », raconte Gérard admiratif. Le vieux Pierre - qui illustrera encore, à 85 ans passés, la couverture des romans édités par son fils - lui a légué un héritage inestimable : l’amour du travail bien fait.
En mai 1972, à Paris, le petit monde de l’édition est en ébullition. Gallimard vient de quitter le giron d’Hachette et cherche des représentants pour l’export. Le jeune Gérard est engagé pour s’occuper de la Suisse. Gallimard ! La cour des grands ! Il rencontre Albert Cohen, Romain Gary, Alphonse Boudard. Il se lie d’amitié avec René Fallet, avec René Barjavel. Et aussi avec un drôle de personnage, journaliste à La Vie du Rail, qui vient de sortir chez Denoël un livre étonnant, intitulé Le Pape des escargots. Le bonhomme s’appelle Henri Vincenot. Il est bourguignon jusqu’au bout des moustaches. Le courant passe entre le romancier « régionaliste », comme on disait à Paris avec une pointe de commisération, et le jeune éditeur qui vient d’acheter une maison non loin de Semur-en-Auxois. Chez Denoël, où il devient directeur commercial en 1975, on se gausse : « Gérard, tu nous saoules avec ta Bourgogne ! »
Un jour, Vincenot montre à Gauthier un tas de feuilles en vrac, impubliables en l’état. « Faites-en ce que vous voulez », lui dit son patron. Gauthier enregistre le texte, le fait taper et corriger par l’auteur. Ce sera la Billebaude. Invité à Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot, Vincenot crève l’écran. Le lendemain, à Dijon, la Lib’ de l’U en vend 800 d’un coup ! Au total, le livre se vendra à 2 millions et demi d’exemplaires. Au Café de Flore, aux Deux-Magots, plus personne ne se moque du moustachu bourguignon et de son jeune mentor.
Au cœur de l’été 1986, Gérard rompt avec Denoël. Grâce à ses indemnités et à un solide carnet d’adresses, il va réaliser son rêve : fonder sa maison d’édition. Il s’installe à Précy-sous-Thil, dans une ancienne pharmacie, et se cherche un nom : Les « Editions du Serein » ? Difficile à porter ! Va pour l’Armançon, lequel coule aussi en Bourgogne, reliant le territoire de Vincenot au pays de Colette. Un heureux patronage. Comme celui, amical, du dessinateur Jacques Faizant qui parraine, le 7 novembre 1987, le lancement des Editions de l’Armançon.

UN SUCCES PAR AN

Adieu, Saint-Germain-des-Prés. Adieu, les Gary, les Boudard ! Ses deux premiers livres sont intitulés : Nan-sous-Thil, un coin de l’Auxois et La vie bouleversante d’un médecin de campagne. Certains font des scores honnêtes, comme La Serve, de Janine Chaillot : 1.200 exemplaires pour un premier roman, pas si mal ! Certains, plus rares, lui assurent durablement sa trésorerie, comme La cure CHIVA du Dr Franceschi, un médecin de réputation mondiale propriétaire d’une maison à Bierre-lès-Semur ! D’autres, enfin, font des bides. « Pour tenir, un éditeur doit faire un succès par an ». Le problème, c’est qu’on ne peut jamais savoir si un livre marchera ou non. Qui aurait pensé qu’en 1991, le Vol de la buse, premier roman d’un autre bourguignon moustachu nommé Didier Cornaille, allait devenir un best-seller ? Ou que l’Atlas de Citeaux, en 1998, atteindrait 4.000 exemplaires en quelques semaines ?
A Précy, aujourd’hui, bien au sec dans les escaliers, le grenier et le hangar, 170 titres sont empilés dans des cartons, prêts à honorer les commandes. Tous ont été relus, travaillés, peaufinés par Gérard, sa femme Chantal et sa collaboratrice Claire. Du travail d’orfèvre. Et combien de rencontres originales ! Un éditeur, c’est un technicien de l’écriture et de la librairie, certes, mais aussi un confident, un coach, un conseiller conjugal, un psy, un confesseur…
A 60 ans, comme au premier jour, Gérard Gauthier continue de sillonner les routes du Morvan, de la Bresse et de la Puisaye, avec, dans le coffre de sa 205, de quoi approvisionner les 250 points de vente de cette région grande comme la Belgique. A chaque salon du livre, de Sens à Autun, de Dijon à St-Honoré-les-Bains, on le voit installer lui-même tréteaux et étals, dès potron-minet, au milieu de ses confrères de Nykta, de la Renarde Rouge ou de la Mutine, tous confrontés au même problème : la distribution-diffusion d’un livre absorbant 60 % de son budget, ajoutez 25 % pour la fabrication, entre 8 et 10 % de droits d’auteurs, 5 % de marketing, et vous êtes sûr, au moins, de ne pas gagner d’argent ! Ou alors il faut tout faire soi-même. Cela tombe bien : la photogravure, la mise en page, la vente, Gérard Gauthier sait tout faire. Depuis l’âge de 18 ans.
B.L.

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