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MININI Isabelle

La marchande d’éphémère

A 6 ans, Isabelle voulait être fleuriste. A 6 ans, vraiment ? « Je passais mes journées dans le jardin de ma nourrice et je me rappelle parfaitement que les corolles des marguerites étaient plus hautes que moi ! ». Aussi loin que sa mémoire l’emporte, la petite se voit cueillir des fleurs et composer des bouquets. Pour sa jolie maman, Renée, institutrice à Gilly-les-Citeaux. Pour son peintre de père, Jean-Marc, qui a fait les beaux-arts à Dijon dans la classe de Marlène Jobert. Pour les amis de ses parents, pour le monde entier. C’est une vraie vocation : le jour du baccalauréat, elle renonce brusquement aux épreuves et va s’inscrire au CFA La Noue pour passer un CAP de « fleuristerie » !
Apprentie fleuriste à 18 ans. Pas terrible. Les copines sont là, souvent, parce qu’elles ne savent rien faire d’autre. Il est vrai qu’elles ne restent pas longtemps dans un métier qui s’avère physiquement très dur : lever avant l’aube, les mains dans le terreau et l’eau glacée, des caisses à charrier matin et soir. A « La Serre fleurie », puis à « Grézilles Fleurs », Isabelle comprend vite qu’il y a deux sortes de fleuristes : les marchands de fleurs et les décorateurs floraux. Certes, le commerce a sa logique : Isabelle apprend à tenir un magasin, à gérer les stocks, à faire la caisse. Mais c’est la technique florale qui l’intéresse.
A une époque où l’on ne trouve pas facilement des stages spécialisés dans l’art floral, Isabelle envisage de partir pour Paris. Parée pour l’aventure. Mais le sang italien de son père ne fait qu’un tour : « On t’aide à t’installer, mais tu restes ! » Ainsi naît « Fiorella », un petit magasin de 40 m2 à Fontaine-lès-Dijon, où tout est à installer. Des vases, des pots, une chambre climatique, une camionnette : « Mon fournisseur hollandais me livrait, la nuit, à Beaune, je devais aller chercher caisses et cageots sous l’escalier du bureau des gendarmes de l’autoroute ! » Un souvenir encore cuisant : la dureté du travail. Un autre, dramatique : la mort brutale de son père, quelques mois après l’inauguration. Il était si fier de sa fille, Jean-Marc ! Il aurait été si heureux de voir, en 1995, le local passer à 120 m2, la boutique employer deux salariées et deux stagiaires, et le chiffre d’affaire atteindre 400.000 euros !

AMBASSADEUR
DU GOUT FRANCAIS

A l’époque, Isabelle suit des stages de perfectionnement, rencontre quelques maîtres en art floral et découvre un plaisir inattendu : les concours. Régionaux, nationaux, internationaux. L’occasion de faire de belles rencontres, de se confronter aux plus grands, de découvrir les dernières techniques, de sentir les nouvelles tendances. Et de se faire connaître. D’abord « petite main » d’un de ses professeurs, la Bourguignonne remporte une première coupe en catégorie « espoirs », puis elle se prend au jeu : en 1995, elle gagne successivement l’ « Hermès d’Or » de Fréjus et la Coupe de France des Fleuristes, puis rafle la palme dans une demi-douzaine de concours nationaux ! Son meilleur souvenir : sa médaille de « Meilleur ouvrier de France » gagnée de haute lutte en juin 1997, et remise à la Sorbonne, en grand tralala, par une toute jeune ministre nommée Ségolène Royal. La même année, elle gagne le concours international « Roxolana » de Kiev, en Ukraine. La compétition, elle adore. Le travail d’équipe, les sujets imposés, la création, l’improvisation, l’adrénaline, c’est son truc ! Elle devient la deuxième femme la plus titrée en France après sa collègue strasbourgeoise Katy Erhart, star incontestée de la discipline.
Un jour, coup de chance : Isabelle trouve un local original de 150 m2 au cœur du vieux Dijon, au coin de la rue Jean-Jacques Rousseau et de la rue Chaudronnerie. Un gros investissement, deux ans de travaux, trois années de galère, sans repos ni vacances : « Les 35 heures, je les faisais deux fois dans la semaine ! » Même plus le temps de participer à des concours. C’est dans ces périodes-là qu’on mesure sa passion, sa rage de réussir et la patience de son conjoint. Difficile de concilier décoration florale et vie de famille !
La volonté paie. Aujourd’hui, le Tout Dijon défile chez « Isabelle Minini » pour un anniversaire, une convention d’entreprise, une fête familiale ou un simple bouquet de mariage – sa spécialité. Mais il n’y a pas que les autochtones pour se faufiler dans son dédale de lys, de delphiniums, d’amarantes et de roses géantes. Les champions de la décoration florale sont comme les chefs étoilés ou les grands couturiers : ambassadeurs du goût français, on les invite aux quatre coins du monde. Plusieurs fois par an, Isabelle quitte Dijon pour un mariage princier au Qatar, un jubilé royal en Thaïlande, une démonstration de prestige au Japon, l’inauguration d’un hôtel en Corée ou des floralies dans l’Océan Indien…
« Fleuriste, explique Isabelle, c’est le métier de l’émotion. Dans une fête ou une cérémonie, on nous demande de mettre la dernière touche. Nous offrons de la vie, de la beauté, de l’imagination. Notre spécificité, c’est le travail de l’éphémère. » Et l’éphémère est fragile, complexe, aléatoire. Il n’est pas facile d’acheter, de stocker et de vendre des produits qui vivent ce que vivent les roses : l’espace d’un matin. Est-ce pour évacuer ce stress permanent qu’Isabelle roule en voiture de sport et prend des cours de moto ? Ou parce qu’elle reste ce garçon manqué qui faisait la fierté de son père ? C’est à lui qu’elle pensera, en ce 18 avril. Il y aura vingt ans, jour pour jour…
B.L.

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Publié dans Portraits de Bourguignons | Lien permanent