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PARCZYNSKI Joseph-André

Le « Polak » de Dijon

Si l’on ne butait dans la prononciation de son patronyme, nul ne devinerait que Joseph-André Parczynski, né à Dijon en 1934, est d’origine polonaise. Or, l’histoire de ce paisible retraité de Couchey remonte, en réalité, à 1929 : c’est en avril de cette année-là que son père Wladislaw débarqua de sa lointaine Pologne pour s’installer d’abord à Vittel, comme manœuvre, puis à Dijon, où il fut embauché comme maçon chez Léon Grosse.
A l’époque, 20.000 Polonais sont venus trouver du travail en Bourgogne. La France avait perdu plus d’un million de jeunes dans les tranchées de 1914-18 et manquait cruellement de bras, tandis que la Pologne, à peine sortie de 120 années d’occupation, ne parvenait pas à nourrir tous ses fils. En quelques années, une émigration légale s’est organisée : environ 500.000 Polonais ont ainsi rallié le Pas-de-Calais et la Lorraine, mais aussi les mines et fonderies du Creusot, de Montceau-les-Mines et de La Machine, les usines de Sens, Auxerre et Dijon, les fermes de l’Auxois et du Nivernais, et aussi, parfois, les vignes de la Côte.
Une enfance à tirer le diable par la queue dans le quartier de la Tremouille où sa mère était concierge (*), une colonie de vacances dans le pays de ses ancêtres en 1948 : l’histoire aurait pu s’arrêter là. Le jeune Parczynski aurait pu s’intégrer comme beaucoup d’autres enfants d’émigrés, surtout après sa naturalisation en 1955 et ses trois ans passés en Algérie sous l’uniforme français, à découvrir d’autres mœurs et d’autres horizons.
Or, en mai 1959, Joseph-André est invité par la directrice de l’école polonaise de Dijon, Maria Dinet, à un spectacle donné au Creusot par un groupe folklorique de Lodz, la deuxième ville de Pologne. D’autres émigrés polonais sont là, dans l’assistance. Certains, venus de Montchanin, sont habillés en costume traditionnel. Tous sont enthousiastes. Ces danses endiablées, ces chants à plusieurs voix, ces bottines légères et ces couronnes de fleurs, cette joie de vivre ! Un éblouissement ! A peine rentré chez lui, Joseph-André enfourche sa motocyclette – il travaille alors chez Terrot – et fait le tour de ses amis qu’il convainc un à un : il faut créer un groupe folklorique polonais à Dijon !

UN SUPPORTER :
LE CHANOINE KIR

Le pari est un peu fou. Il faut tout inventer. Dénicher les partitions, trouver des musiciens, fabriquer les premiers costumes, apprendre la chorégraphie. Et aussi constituer l’association, rédiger les statuts (on copia ceux des « Enfants du Morvan », un autre groupe folklorique local), canaliser les ambitions, surmonter les premières rivalités personnelles, etc. Les réunions se tiennent chaque vendredi soir, au premier étage du Café de la Comédie, place du Théâtre. Le jour où l’on doit baptiser le groupe naissant, Joseph-André se rappelle son émotion irrépressible, onze ans plus tôt, sur le chemin de sa colonie de vacances, quand il traversa fortuitement Varsovie réduite à des amas de gravas. A l’unanimité, on décide de donner au groupe le nom de cette capitale meurtrie. En polonais : Warszawa.
A la veille de Noël 1959, le premier spectacle donné dans une salle bondée de la rue Chabot-Charny alterne chants de Noël et danses cracoviennes. Les coiffes virevoltent, les bottes frappent le sol, les applaudissements fusent. La soirée fait l’effet d’un électrochoc dans toute l’émigration polonaise de la Côte d’Or, et déclenche plusieurs propositions de spectacles. Parmi les supporters de l’ensemble Warszawa figure bientôt un certain chanoine Kir, très fier de ses origines polonaises (un de ses ancêtres Kirski avait suivi en France les armées de Napoléon) : le maire de Dijon, un temps, rêva de faire de Dijon la capitale de la diaspora polonaise !
Représentations, fêtes de la vigne, animation de rues, tournées en province et à l’étranger : les danseurs prennent de l’assurance, les costumes s’enrichissent, les musiciens se perfectionnent. Près de vingt ans plus tard, la consécration survient lorsque le groupe Warszawa, en 1977, rafle le premier prix au Festival mondial du folklore de l’immigration polonaise, à Rzeszow, à la barbe des ensembles nord-américains de Chicago ou de Philadelphie, fort dépités de se faire battre par des amateurs bourguignons !
Aujourd’hui, l’émigration polonaise a cédé la place à d’autres vagues d’émigrés venus du sud, et presque tous ses membres sont devenus français. Mais le plaisir de la scène et le culte des racines continuent de les fédérer, par delà les générations et les accidents de l’histoire : en 1981, non sans bagarres internes, Warszawa a apporté un soutien actif à Solidarnosc. Sous la houlette de Joseph-André, qui reprit cette année-là les rênes de l’association, les enfants et petits-enfants des fondateurs perpétuent la tradition, en compagnie de Dijonnais de souche que rien ne lie spécialement à la Pologne, si ce n’est le bonheur de la danse, du folklore et de l’amitié entre les peuples.
B.L.

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