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MACEK Lukas

Le Petit Prince de l’Europe

Le quartier de Prague où il est né s’appelle Vinohrady. En français : « Les vignes ». Dans un pays où l’on boit de la bière, si loin de la Bourgogne, faut-il y voir un signe du destin ? Ce serait bien le seul, en ces années 1970 où la « normalisation » fait rage en Tchécoslovaquie : le pouvoir communiste a effacé toutes traces du « printemps de Prague », les frontières avec l’Occident sont verrouillées, les enfants sont priés de ne pas répéter, à l’école, les propos subversifs tenus à la maison. Comment Emanuel et Radmila Macek auraient-ils pu imaginer que leur petit Lukas, fût-il brillant en classe, dirigerait un jour une grande école en France ?
Comme pour quelques dizaines de millions d’Européens, le destin de Lukas bascule à l’automne 1989, lorsque s’effondre le mur de Berlin. Il a 14 ans quand il assiste, médusé, à la « révolution de velours » qui submerge son pays : il accompagne ses parents aux manifs, la cocarde nationale à la boutonnière ; il lit avec fascination les graffitis subversifs sur les murs de Prague ; et il applaudit le premier discours du nouveau président tchécoslovaque, Vaclav Havel, qui croupissait encore, quelques semaines plus tôt, dans les geôles communistes.
Ces événements ont donné à Lukas le goût de la politique : « A cette époque inouïe, le mot ″politique″ voulait dire : goût de l’engagement, souci de l’unité nationale, respect des valeurs démocratiques. Ce n’est plus vraiment cela aujourd’hui, bien sûr…» L’ouverture des frontières est un formidable appel d’air pour sa génération. Quand son prof de français lui parle d’un concours destiné à partir passer le bac dans un lycée bourguignon, il s’y présente avec succès et, un beau jour de septembre 1992, débarque à Dijon. Depuis deux ans déjà, le lycée Carnot prépare au baccalauréat une poignée d’internes venus de son pays. C’est l’année où celui-ci se divise en deux. Le jeune Lukas Macek quitte la Tchécoslovaquie, il reviendra en République tchèque ! L’Europe nouvelle est toujours en fusion…

L’EUROPE EN FUSION

Il est brillant, Lukas. Il obtient une mention « très bien » au bac, il intègre Sciences Po à Paris. En 1997, un stage au conseil régional de Bourgogne le fait renouer avec les randonnées dans la Combe Lavaux et les descentes de caves dans les Hautes Côtes de Nuits. En 1999, le jeune homme décroche son diplôme, section « Relations Internationales », option « Europe communautaire ». Il rentre à Prague avec un objectif clair : participer, d’une façon ou d’une autre, à l’entrée de son pays dans l’Union européenne.
Il devient assistant parlementaire du député Vladimir Mlynar, qui entrera bientôt au gouvernement, puis du sénateur Josef Zieleniec, un ancien ministre des affaires étrangères qui est élu, en 2002, à la Convention chargée de préparer la future constitution européenne sous la houlette du français Giscard d’Estaing. Il passe alors l’essentiel de son temps à Bruxelles où il avale les dossiers, jongle avec les règles communautaires, peaufine son expertise et côtoie aussi quelques influents personnages.
Le jeune Macek a gardé le contact avec Dijon. Notamment avec Sophie Ollier, la directrice des affaires européennes du Conseil régional, et avec Madani Cheurfa, le directeur de la nouvelle antenne de Sciences Po installée à Dijon en 2001, un « premier cycle » orienté vers les pays d’Europe centrale et orientale. Il fait même partie, à Prague, du jury de recrutement des élèves tchèques. Sans aucune arrière-pensée : à l’époque, il ne s’intéresse qu’aux futures élections européennes qui suivront, en 2004, l’adhésion de son pays à l’Union.
C’est à ce moment que Richard Descoings, le patron de Sciences Po, qui veut faire de son école un must au niveau européen, et qui est prêt pour cela à briser quelques vieilles habitudes, lui propose de remplacer Cheurfa, appelé à d’autres fonctions. Macek tombe des nues. Il prépare alors le concours des Communautés européennes. Son horizon, c’est Bruxelles et Strasbourg, pas Dijon. Mais à 27 ans, peut-il refuser une telle opportunité ?
Dans son bureau tout neuf de l’avenue Victor Hugo, où Sciences Po abrite désormais 85 étudiants de plus de 20 nationalités, Lukas Macek n’a pas le temps de méditer sur sa fulgurante ascension. Il a du pain sur la planche. Les futurs cadres polonais ou hongrois qu’il forme à Dijon constitueront, à terme, un riche réseau de dirigeants européens qui auront tous au cœur le souvenir de leurs propres randonnées dans la Combe Lavaux et des descentes de cave dans les Hautes Côtes de Nuits...
Le défi est de taille. Car les temps ont changé. L’Europe ne fait plus rêver. Le 29 mai dernier, c’est avec consternation que Macek et ses élèves ont vécu le « non » français au référendum sur la constitution européenne : « Le lundi matin, plusieurs étudiants sont venus aux cours en tenue de deuil ! » Ce jour-là, tous ces jeunes venus de l’Est ont pu vérifier concrètement ce qu’ils savent mieux que quiconque : que la démocratie est capricieuse, et que l’Europe est fragile.
B.L.

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