Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

MUTIN Marie-Thérèse

La mémoire militante

Cessey-sur-Tille. Rue des Vernottes, anciennement rue des Baraques. La maison est modeste et basse de plafond. Elle a été achetée en 1927 par le grand père Raoul, photographe, frère du curé du village, et père de Camille, militaire de carrière. Marie-Thérèse Mutin est née dans une famille très catholique où l’on ne plaisante pas avec la morale. Bonne élève, la petite intègre l’Ecole Normale de Jeunes filles, à Dijon, où elle passe quatre années très dures, « à bosser tout le temps ». A la rentrée de 1960 – elle a juste 20 ans – elle fait ses premières armes à l’école de Varanges, près de Genlis. Une chance : « La terreur des nouvelles institutrices, c’était d’être envoyée dans le Châtillonnais ! » Bientôt, dans un village voisin, elle est chargée d’une « classe unique » (vingt élèves âgés de 4 à 14 ans) un peu comme dans le film Etre et avoir. Son meilleur souvenir.
Une vie qui eût été toute simple, si un jour de décembre 1965, en pleine campagne présidentielle, elle n’avait entendu son frère André, lui-même ouvrier à Auxonne, ronchonner : « Et tu crois que ton De Gaulle va faire quelque chose pour les ouvriers ? » Marie-Thérèse ruminera longtemps la remarque. Elle se sent « de gauche ». En 1971, elle accepte de figurer sur la liste municipale de son village. Elle adhère à la Convention des Institutions Républicaines, un petit parti dirigé par un certain François Mitterrand qui va devenir, au congrès d’Epinay, le fer de lance du nouveau Parti socialiste.
La gauche est alors durablement dans l’opposition. On ne s’y bouscule pas pour prendre des responsabilités. En 1974, elle devient maire de Cessey. Le PS de Côte d’Or lui propose d’être secrétaire fédérale aux entreprises. Elle comprend « secrétaire » : cela lui convient, elle sait taper à la machine ! Elle découvre alors les conflits sociaux. Elle décrira plus tard « les petits matins blêmes et glacials à la porte des usines, les doigts gourds de froid qui ont du mal à saisir le tract dans le paquet coincé sur l’avant-bras et les moqueries affectueuses des ouvriers : ″Alors les socialos ! Déjà levés ? Ca vous change de vos horaires de profs !″ »
Trois ans plus tard, les « lendemains qui chantent » se sont tu : l’Union de la gauche est morte, les espoirs de Mitterrand se sont envolés, les législatives de 1978 se présentent très mal. Le PS en Côte d’Or se noie dans les bisbilles internes : on lui propose de devenir 1er secrétaire, pour calmer le jeu jusqu’aux élections. Les militants l’élisent à l’unanimité. Mais quand un an plus tard, Pierre Joxe lui demande de démissionner, elle refuse. Au nom de quoi ? C’est aux militants de décider ! Elle monte à Paris demander l’arbitrage de Mitterrand… et l’obtient : Joxe ne lui pardonnera jamais.
Marie-Thérèse rencontre plusieurs fois Mitterrand, elle apprend les courants, le jeu des motions, les manœuvres de couloir, les grosses combines et les petites intrigues. En 1986, puis en 1992, elle est élue conseillère régionale. En 1997, elle sera même députée européenne par défaut : figurant en 23ème position sur la liste présentée par le PS en 1994, elle est promue quand tous les premiers de la liste, après la dissolution surprise, intègrent le gouvernement Jospin ou le Palais Bourbon ! « Je n’ai pas aimé, à Bruxelles, ces élus dépolitisés devenus des spécialistes du pourcentage de graines végétales dans le chocolat ! L’Europe ne fait pas assez de politique ! »

AU SERVICE DE SES AUTEURS

Mais les temps ont changé, au PS : le pouvoir a aiguisé les ambitions. Les militants ont cédé la place aux apparatchiks. En 1990, au lendemain du congrès de Rennes où elle est cataloguée « popereniste » (un sous-courant du « courant A » dirigé par le ministre Jean Poperen), elle est brutalement débarquée de son poste de secrétaire fédérale de la Côte d’Or. Un épisode qu’elle raconte avec émotion dans son tout dernier roman, Et la source est tarie où buvaient les troupeaux (Ed. de l’Armançon). Elle se vengera en 1998 : biffée de la liste régionale par la direction du PS, la rebelle mène une liste dissidente qui obtient plus de 5 % des voix et lui vaut, pendant six ans de mandat, d’être ignorée de ses anciens « camarades ».
Exclue du PS ! Dans son roman, son héroïne accuse le choc : « Qu’allait-elle faire de toutes ces heures libérées ? Plus de réunions aux quatre coins de la Côte d’Or, plus d’articles, d’éditos à rédiger, de négociations avec les partenaires de gauche, de réunions de formation, de campagnes électorales, de meetings, de fêtes de la rose à organiser ! » En 1995, Marie-Thérèse Mutin fonde les éditions « Mutine » – un nom qui lui va bien. L’ex-institutrice a toujours aimé lire et écrire. Elle a même publié naguère un petit roman historique, Catherine de Châteauneuf, puis un livre plus personnel, Vive la politique ! Editeur, c’est aussi servir les autres.
Mutine, c’est un réseau d’amateurs fidèles, une trentaine d’auteurs et, chez elle, un capharnaüm de livres et de manuscrits. Marie-Thérèse s’occupe de tout, de la préparation des textes à l’organisation de signatures. Et tant pis si tous ses livres n’atteignent pas le millier d’exemplaires comme En attendant la canicule de Jacques Thomassaint, ou son propre petit polar Meurtre au palais des Ducs paru aux éditions Nykta, une fiction jubilatoire où elle règle quelques comptes avec ses anciens compagnons de lutte.
Mais le roman, la littérature et le rêve ne sont-ils pas plus efficaces que la politique quand on veut « changer la vie » ?
B.L.

Télécharger le fichier

Publié dans Portraits de Bourguignons | Lien permanent