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CAO Pierre

La baguette d’Arsys

Pierre Cao aurait dû s’appeler « Garibaldi ». C’est le prénom que lui avait choisi son père un peu avant sa naissance, en 1937, dans la petite ville de Dudelange, au Luxembourg. L’ouvrier Vittorio Cao, qui a fui le régime de Mussolini, voue une grande admiration au fameux révolutionnaire italien, au point de quitter sa famille, cette année-là, pour aller combattre en Espagne dans les Brigades Internationales. Emprisonné par les nazis en 1939, renvoyé en Italie où il s’évade en 1942, il anime un groupe de « partisans » antifascistes avant de revenir au Luxembourg après la Libération. Pour la première fois, le petit Pierre peut embrasser son père. Il a 11 ans.
Amers souvenirs. Pendant toutes ces années, sa mère a fait des ménages pour nourrir, tant bien que mal, ses trois enfants. A 14 ans, pour cause de tuberculose, Pierre doit quitter l’école pour le sanatorium. Un an plus tard, il entre comme apprenti chez Zuang, une usine de machines à laver. Rechute. Nouveau séjour dans un sana des Grisons. A son retour, le frêle gamin joue un peu de piano, le matin, au café Ilger, en face de la maison familiale. Il aime cela. Il anime bientôt la chorale du Gewerkschaftheim, le syndicat ouvrier de Dudelange. Nouvelle rechute. Nouveau sanatorium. L’adolescent ne retournera pas à l’usine. Il entre au Conservatoire royal de Bruxelles. Il a 19 ans. Trop âgé pour apprendre un instrument, il travaille pendant huit ans la direction d’orchestre. Ainsi va le destin : « Sans la tuberculose, je serais toujours ouvrier chez Zuang ! »
En 1969, lauréat d’un concours international à Copenhague, le jeune chef est engagé comme second de Louis de Froment à la tête du Grand Orchestre de Radio-Luxembourg. Un job en or, un contrat à vie. Mais après quelques années, il démissionne : « Je ne me sentais pas à la hauteur, ni humainement, ni techniquement. » Il bifurque vers le Conservatoire de la ville de Luxembourg où il restera jusqu’en 1998. Masterclasses internationales, création à Metz de l’Institut Européen du Chant choral, Cao dirige, produit, enseigne : « J’ai toujours préféré l’enseignement, la pédagogie, la recherche. J’ai besoin de donner, de rendre ce que la vie m’a offert, de transmettre ma passion... »
En 1972, il devient responsable national de la formation à la fédération « A Cœur Joie » et sympathise avec son président, Marcel Corneloup, un Bourguignon qui lui fait animer, de 1975 à 1985, les « Semaines chantantes d’Autun ». Cao découvre la Bourgogne, ses églises et ses chœurs. Il tombe amoureux de Vézelay – sans savoir que la Colline inspirée deviendra un jour son fief.

UN CHŒUR
POUR LA BOURGOGNE

Juin 1998. Le conseil régional de Bourgogne et le ministère de la Culture ont décidé la création d’un ensemble vocal régional de haut niveau. Le tout nouveau président de la Région, Jean-Pierre Soisson, se bat pour financer ce chœur, dont il entend bien confier la baguette à Pierre Cao. Mais les élections régionales, cette année-là, ont été houleuses, Soisson ayant été élu avec des voix du Front national : Pierre Cao se fait copieusement traiter de « facho ». « Moi, un fasciste ! Mais que savaient-ils de moi, de mon passé, de mon père, tous ces petits intellos dont les bassesses politiciennes ne visaient qu’à se donner bonne conscience ? Que savaient-ils du fascisme ? » Le regard du chef, jusqu’alors pétillant de malice et de passion, se durcit. Visiblement, cette blessure-là n’est pas cicatrisée.
Un an de bagarres, de manœuvres et de tergiversations. Des centaines d’auditions, aussi. Il fallait financer le projet, certes, mais aussi recruter au « top niveau » pour composer ce chœur à géométrie variable (entre 8 et 32 choristes) destiné à devenir une vitrine internationale de la Bourgogne. Enfin, le 1er octobre 1999, le chœur Arsys-Bourgogne donne, à Dijon, son premier concert : les Vêpres de la Vierge, de Monteverdi. A la baguette, Pierre Cao. C’est le début d’une longue suite de concerts de grande qualité, de créations originales et de productions de CD auxquels sont associés chœurs et orchestres d’envergure européenne : le Concerto Köln, l’ensemble La Fenice, les Basses Réunies, etc. Depuis l’an 2000, les « Rencontres musicales de Vézelay » attirent chaque été en Bourgogne des mélomanes venus de toute l’Europe.
Installé dans l’ancien hospice de Vézelay, tout près de la basilique, épaulé par l’infatigable président du Pôle d’Art vocal de Bourgogne, Patrick Bacot, le Luxembourgeois a « réalisé une sorte de rêve ». Exigeant, insatiable, curieux de tout, heureux de vivre, il multiplie idées et projets. Pas question d’oublier ses engagements personnels : s’il donne des cours à la prestigieuse Ecole supérieure de musique de Barcelone, il anime aussi des stages au Cameroun ! Pas question de sombrer dans l’élitisme : renonçant à toute spécialisation, Cao dirige de plus en plus de concerts dans les églises de la région. Et à la rentrée, c’est officiel, il deviendra professeur de direction d’orchestre au Conservatoire de Dijon : « C’est ma façon de remercier la Bourgogne pour tout ce qu’elle m’a donné ».
B.L.

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