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KINDER Terryl

Une Américaine à Pontigny

« Je veux vivre en France ! » Quelle mouche a piqué la petite Terryl au cours de ce déjeuner dominical de 1952 ? Son père, ingénieur à la General Motors, sa mère, institutrice, forment, à Rochester, au bord du lac Ontario, une famille typiquement américaine, aux lointains ancêtres venus de Hollande, d’Angleterre, d’Allemagne… mais aucun venu de France. Personne ne parle français dans son entourage. Terryl a 6 ans. Réponse du grand père, péremptoire : « Les enfants ne parlent pas à table ! »
Aussi loin que remontent ses souvenirs, Terryl Kinder ne trouve aucune raison à ce précoce tropisme français, ni à sa passion pour le moyen âge. A Rochester, l’église où elle faisait du théâtre et du scoutisme était de style « gothic revival » et ressemblait à un temple grec, comme toutes ces petites églises en bois construites par les colons dans les années 1830. Rien à voir avec les abbayes médiévales dont la jeune fille ignore alors jusqu’à l’existence !
Terryl s’intéresse à la musique, pratique le chant, tâte du journalisme, mais garde au cœur cette étrange curiosité pour la France. Elle va fêter ses 20 ans quand une occasion se présente de partir comme secrétaire médicale du 42ème hôpital militaire US basé près d’Orléans. Adieu le journalisme, bonjour la médecine ! Elle réussit l’examen et franchit l’Atlantique pour la première fois. C’est alors qu’elle va découvrir, au fil des permissions, la cathédrale de Chartres et l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Un choc ! Un coup de foudre ! Mais le général de Gaulle, cette année-là, boute les troupes de l’OTAN hors de France, et Terryl avec.
Retour en Amérique, dans ce Nouveau Monde désespérément dépourvu de cloîtres romans et de flèches gothiques. Un legs de mille diapos d’abbayes cisterciennes, à la fac de Syracuse, lui redonne le goût du moyen age. Adieu la médecine, bonjour l’histoire médiévale ! Une occasion d’apprendre l’allemand la mène à Freiburg, Salzbourg et Munich, où elle devient comptable pour payer ses études au prestigieux Central Institut für Künztgeschichte. Son professeur – d’une rigueur extrême, se rappelle-t-elle avec effroi – l’oriente vers l’abbaye de Maubuisson, un modèle d’architecture cistercienne construit par Blanche de Castille en 1241, près de St-Ouen l’Aumône : ce sera son sujet de maîtrise. Ce sera aussi le thème de sa première conférence publique, prononcée d’une voie tremblante devant le congrès annuel des médiévistes du monde entier, à Calamazoo (Michigan), en 1975. Elle a 31 ans. Son exposé est publié dans la revue Citeaux (commentarii cistercienses), une publication top niveau, animée par des moines érudits : nul ne peut imaginer que cette jeune et jolie Américaine en deviendra, plus tard, la rédactrice en chef.

UNE PASSION POUR
LES CISTERCIENS

Mais déjà Terryl Kinder a choisi, comme sujet de doctorat, « la plus intéressante » des abbayes cisterciennes : Pontigny, dans l’Yonne. Une des quatre « filles » de l’abbaye de Citeaux, fondée en 1114 par un compagnon de saint Bernard. Une nef presque aussi grande que celle de Notre-Dame de Paris, une architecture dépouillée où se lit clairement le passage du roman au gothique. Un joyau méconnu, tout de beauté et de simplicité, fiché en pleine campagne, à l’écart des colloques scientifiques et des grandes migrations touristiques.
Sa thèse sur Pontigny, soutenue en 1981, projette Terryl Nancy Kinder dans le cercle très fermé des spécialistes d’histoire médiévale : chargée de cours dans l’Indiana et à la Sorbonne, commissaire d’une exposition à Paris pour l’ « Année saint Bernard » (1990), elle représente la Bourgogne dans des colloques internationaux, prononce des conférences aux quatre coins du monde, publie des articles savants et quelques livres « grand public » comme L’Europe cistercienne (1997) ou Les Cisterciens dans l’Yonne (1998).
La blonde et souriante Américaine loue bientôt une petite maison dans le village de Pontigny (où elle s’installe avec son chat nommé Capucin !) afin de poursuivre ses minutieuses recherches sur place. En 1985, avec quelques autochtones amoureux du site, elle participe à la création de l’Association des Amis de Pontigny, destinée à faire mieux connaître l’abbaye, y présenter des expositions, y donner des concerts. Il faut dire que l’acoustique y est exceptionnelle. Quand Terryl fait visiter l’église abbatiale, elle fausse régulièrement compagnie à ses interlocuteurs qui ont la surprise d’entendre un Kirie Eleison grégorien envahir la nef et résonner le long des voûtes : c’est elle-même, facétieuse, qui pousse ainsi la note !
Terryl a épousé en 1998 un prof d’histoire religieuse, spécialiste du livre médiéval, qui enseigne à l’Université de Terre-Neuve (Canada) – ce qui pose aux jeunes mariés quelques problèmes d’agendas. D’autant que Terryl, de son côté, enseigne désormais à mi-temps dans le Vermont (USA), à l’Université des Pères de saint Edme. Saint Edme était un évêque anglais qui séjourna en 1240 à Pontigny, où son corps repose toujours. La Bourgogne cistercienne, à l’époque, rayonnait dans le monde entier.
B.L.

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