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BASSAN George

L’appel du livre

C’est un peu de la mémoire de l’Europe qui resurgit là, vivace, au cœur du vieil Auxerre, dans ce bureau en fouillis, au milieu des piles de livres. Née à Mayence, au bord du Rhin, George est fière de raconter qu’un de ses ancêtres sépharades, Elieser Bassan, né à Venise en 1622, a épousé une Tchèque à… Amsterdam, où un autre, Robio de Castro, fut un des contradicteurs du philosophe Spinoza. Qu’un Jacob Bassan, deux siècles plus tard, s’est installé à Paris. Et que son propre père, Pierre Bassan, a épousé, quant à lui, une demi-Normande, demi-Berrichonne. La première de leurs filles se passionnera pour la généalogie – on la comprend – et la seconde, George, pour la littérature.
Elle aurait pu devenir prof de lettres si le destin n’avait sonné trois fois à sa porte. D’abord sous les traits d’un jeune homme travaillant dans la communication, qu’elle épouse à 21 ans. A l’époque, la « com » n’est pas encore à la mode. Tout est à inventer dans ce secteur atypique et innovant. En 1969, George devient attachée de presse chez Woolmark. L’agence FCA, détenteur du budget, la recrute en 1975 comme « planeur stratégique ». Elle conseille L’Oréal, Findus, etc. Elle sillonne Paris à moto. Elle a divorcé de son premier mentor, mais elle gagne bien sa vie. Bientôt, elle passe chez Publicis comme directrice de clientèle. Quatre ans plus tard, en 1991, pour l’agence Concurrence, elle gère de gros budgets comme celui d’Yves Rocher…
Golden girl aux dents longues, à l’attaché case bourré de stock options ? Pas du tout. Mai 68 est passé par là. George a même étudié rue Soufflot, à l’époque, au même étage que l’UNEF : les barricades s’érigeaient sous ses fenêtres ! Des parents engagés à gauche, des manifs suivies en famille, des discussions à n’en plus finir sur le sens des choses, cela donne du recul. Nombre de soixante-huitards devenus « créatifs » dans la pub se demanderont bientôt, comme George, si le but de la vie est bien de faire progresser de 5 points la part de marché d’un shampoing à la kératine…
Troisième coup du destin : en 1987, un terrible accident de moto sur le périphérique. Hubert, son compagnon y perd la vie, laissant trois enfants. Elle-même, blessée, en gardera des séquelles. George, sonnée, doit réapprendre à vivre, à marcher, à travailler. Peu à peu, elle imagine de se consacrer à sa passion : les livres. Depuis les Malheurs de Sophie qu’elle trouva, gamine, au pied du sapin de Noël, George n’a cessé de lire. Les grands romanciers du XIXè siècle : Sue, Dumas, Balzac. Les auteurs américains des années 70 : Silverberg, Zelazny, Farmer. Les incontournables : Cent ans de solitude, Au-dessous du Volcan, Belle du Seigneur. Et tous les autres ! George n’a jamais jeté un livre : chez elle, déjà, c’est une vraie librairie.

70 HEURES
PAR SEMAINE…

Une librairie… Pourquoi pas ? En 1995, George négocie son départ avec ses patrons, vend sa maison de Suresnes, rassemble ses économies. Elle visite dix-sept magasins à Vichy, Mâcon, Lille… jusqu’à éprouver le coup de foudre, à Auxerre, pour une librairie coincée entre deux rues passantes, une disposition en éventail, des livres partout. Le 17 février 1996, elle s’installe. Elle est enfin chez elle. Au calme.
Au calme ? S’il y a un métier où on connaît peu le calme, c’est celui de libraire ! Elle est loin, l’image du vieux barbichu en blouse allant vous dégotter derrière ses rayonnages le petit roman ancien qui vous fera passer un bon dimanche. Aujourd’hui, un libraire se bagarre toute la journée – et tard le soir – avec des cartons de livres envoyés par les éditeurs, regroupés en « offices », au petit bonheur du marketing. On publie, en France, 60.000 nouveaux titres par an, dont un tiers de rééditions. Ce qui fait 300 bouquins par jour – dont certains, les best-sellers, arrivent par piles ! Comment gérer une telle profusion ? Comment sélectionner les bons titres, retourner les autres à l’envoyeur ? Comment conseiller les clients ?
Il restait bien les livres scolaires : un secteur plus facile à gérer, qui, surtout, attirait les ados dans la librairie, où ils découvraient un monde aujourd’hui occulté par la télé, l’ordinateur et les jeux vidéo. Patatras : en instituant la gratuité des livres scolaires, en 2004, les nouveaux dirigeants de la Région ont brutalement tari ce flux, en faisant baisser de 30 % le chiffre d’affaire de tous les libraires de Bourgogne !
George ne baisse pas les bras. Elle a monté une association qui discute pied à pied avec les élus régionaux. Elle est aussi vice-présidente du Comité régional du Livre. Elle est trésorière de l’association Plaisir de Lire. Elle a aussi accepté la présidence l’Aida, qui dirige le Théâtre municipal d’Auxerre. Convaincue que le livre est d’abord un « moyen d’échanges culturels », elle anime le Mouv’Art, une autre association qui propose au public des expositions. En plus de ses 70 heures de travail par semaine !
Au rez-de-chaussée, George est là, attentive. Les clients défilent, interrogent, flânent, passant du dernier Goncourt aux livres sur Vauban, en zigzag, d’un rayon à l’autre. La relation au livre n’est jamais directe. Ce n’est pas par hasard que la librairie s’appelle Obliques.
B.L.

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Publié dans Portraits de Bourguignons | Lien permanent