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RIGAUX Jacky

Le philosophe des terroirs

Gevrey-Chambertin. En face de la bâtisse de pierre, des « climats » historiques. A quelques centaines de mètres, des « premiers crus » mondialement connus. Dans la cave de cette maison « de vigneron », trois mille bouteilles à rendre jaloux tous les œnologues de la terre. Tout porte à croire que le maître de maison est né au milieu des vignes, qu’il a goûté le pinot noir au biberon, qu’il a grandi au milieu des tonneaux…
Pas du tout. L’enfance de Jacky Rigaux, c’est celle d’un petit commis de ferme dans une famille d’accueil de la Nièvre où l’on ne sait pas ce qu’est une vendangette. Pis : Sully-la-Tour, où il fréquente l’école communale avant de partir au lycée de Cosne-sur-Loire, est le seul patelin du canton à ne pas produire de pouilly fumé ! Et quand il suit sa grande sœur à Dijon, où elle est devenue prof d’histoire-géo, c’est pour s’inscrire en fac de philo et de psycho. Une licence, deux maîtrises, un DSS de psycho-pathologie : l’ancien garçon de ferme s’en tire plutôt brillamment. Une thèse de doctorat sur la psychanalyse (les convergences entre Freud et Kierkegaard, vous connaissez ?) et la rencontre avec Bertrand Schwarz, le pape des sciences de l’éducation, le dissuadent définitivement de devenir… prof de gym ! Sportif il restera, mais la recherche scientifique il choisira.
Jacky Rigaux donne quelques cours de psycho, à Dijon, avant de faire son service dans les commandos de l’armée de l’air, en 1975, et de rallier la BA-102 comme officier, pour y terminer son service militaire. En 1976, il devient « ingénieur de formation et de recherche » au service de formation continue de l’Université de Dijon. Mai 68 est passé par l’enseignement supérieur : la « formation continue », ce concept nouveau qui doit révolutionner l’éducation, est en plein développement. C’est à cette époque qu’un chercheur de Reims introduit l’œnologie dans les cursus de formation universitaire. Au risque de faire doucement rigoler dans les amphis : mais à quoi peut bien servir un diplôme de « technicien en oenologie » ?

FORMER VIGNERONS
ET AGRONOMES

Pour Jacky Rigaux, au contraire, c’est le déclic ! Œnologie et formation continue. Un mariage audacieux, comme celui de l’époisses et du meursault. Avec le fameux 1% consacré par les maisons de vin à la formation professionnelle, des pionniers comme Franck Gruchs, Philippe Roti, Philippe Huguenot et autres Etienne de Montille vont développer cette idée jusqu’à ce qu’apparaisse, en 1993, avec l’aide du Conseil régional, l’Institut de la Vigne et du Vin, de haut niveau, vite prisé des étrangers. Militant pour l’enseignement des « sciences de la terre », Jacky Rigaux y fait créer un diplôme « Pratique de la dégustation par la connaissance des terroirs ». Non sans mal. Ces innovations se heurtent alors au scepticisme d’un petit milieu universitaire conservateur, paralysé par les ambitions locales, fermé sur lui-même. Est-ce pour cela que nombre d’observateurs avertis estiment qu’en matière de recherche, hélas, Dijon ne sera jamais Bordeaux, Montpellier ou Reims ?
Rigaux, lui, se tourne alors vers les professionnels – les Jadot, Drouhin, Bouchard Père et Fils, Faiveley, etc – qu’il associe aux ténors de la recherche sur la terre et le vin, venus d’Alsace ou de la Loire pour animer les rencontres internationales « Vignerons, gourmets et terroirs du monde », qu’il baptise du nom d’Henri Jayer, le pionnier de l’oenologie bourguignonne, l’homme qui lui a fait comprendre l’importance du terroir. « Dès le fût, je sens la différence », disait Jayer. Le premier colloque a lieu au château de Gilly en 1999. Un an plus tard, c’est l’attribution du premier diplôme « Pratique de la dégustation… » Il y en aura, en moyenne, 16 par an. Un master « Vigne, vin, terroir » voit le jour en 2004. Puis un diplôme universitaire « Sciences de la vigne ».
Aujourd’hui, plus personne ne conteste l’intérêt de former à la fois les vignerons traditionnels et les futurs ingénieurs agronomes aux « bonnes pratiques » de la vigne, de la vinification, de l’élevage : ne pas céder au « tout bio », ne pas sombrer dans le « tout chimique », mieux comprendre les sols et les sous-sols. L’œnologie n’est ni une tradition folklorique, ni une science exacte : elle se nourrit des progrès de la géographie, de la géologie, de la pédologie (l’étude du sous-sol), de la climatologie, mais aussi de l’épistémologie, de la philosophie, voire, dit Rigaux, de la physio-pathologie...
A 60 ans, Jacky Rigaux fait partie de l’élite mondiale de la dégustation vineuse. Ses Nouveaux vignerons (2002) figurent dans toutes les bonnes bibliothèques, ainsi que son Ode aux grands vins de Bourgogne (2003) et ses Grands crus de Bourgogne (2005)1. Il multiplie aussi les articles spécialisés, les conférences, les charges de cours (au Québec, à Bruxelles, à Milan), les jurys, les dégustations. Il participe à des festivals liés à la culture et au vin (Musique au Chambertin, Livres en Vignes). Et à chaque fois qu’il peut, il multiplie les voyages dans les terroirs du bout du monde (Australie, Afrique du sud, Californie, Chili).
Ce chercheur impénitent n’est jamais lassé d’explorer terroirs et territoires inconnus. Tout en faisant goûter à chaque occasion les chardonnays et sauvignons qu’il rapporte des continents lointains, cet homme discret, fidèle en amitié, curieux de son prochain, s’intéresse de plus en plus… à la gérontologie. Le vin n’est pas le seul objet d’étude et de plaisir qui s’améliore quand il vieillit.
BERNARD LECOMTE


1 Dernier ouvrage publié : Pouilly-Fumé, perle de la Loire (Editions Terres en vue, 2008).

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