Le blog de Bernard Lecomte

C’est la nouvelle du jour. En d’autres temps, elle aurait fait la Une de tous les journaux. Donald Trump a nommé à la tête du renseignement américain une femme nommée Tulsi Gabbard, une hawaïenne de 43 ans, ex-démocrate ralliée à Trump cet été, et qui est surtout… ouvertement pro-Poutine ! Que cette femme soit notamment chargée de la confrontation avec le FSB et le GRU fait dresser les cheveux sur la tête à tous les spécialistes de l’espionnage. Et aussi, on s’en doute, aux Ukrainiens…

Passionnant documentaire, ce soir, sur France 5, signé du journaliste Antoine Vitkine, qui renforce la conviction de tous les spécialistes de l’espionnage russe, sans exception : oui, Poutine et le KGB "tiennent" Donald Trump depuis le fameux voyage à Moscou de l’ex-businessman en 1987 ! Mais comment ? Si l’étau se resserre, il manque toujours une vraie preuve tangible, une vidéo de nature sexuelle, un dossier financier pourri, un "kompromat" humiliant, qui expliquerait tout… et qu’on n’aura peut-être jamais !

87,3 % des voix ! En d’autres temps, on aurait appelé ça, en rigolant, un score "à la soviétique", façon Léonid Brejnev. Mais le "triomphe électoral" de Vladimir Poutine ne fait rire personne. Sa première parole, hier soir, fut significative : "Nous ne nous laisserons pas intimider !" Rien sur l’avenir économique, social, culturel, du pays qu’il dirige ; tout sur les envahisseurs néonazis (l’Otan, l’Europe, la France) qui veulent anéantir la sainte Russie ! On s’arme, on serre les rangs, on prépare la guerre… Un discours qui, en effet, n'incite pas à la rigolade.

Certes, il ne faut rien affirmer sans preuve. Mais l’obstination maladive avec laquelle Trump cherche par tous les moyens, seul contre tous, à stopper toute aide américaine à l’Ukraine (c’est-à-dire, précisément, à aider Poutine à gagner la guerre qu’il mène contre l’Occident) oblige à se poser une question : et si la rumeur insistante d’un kompromat (une vidéo compromettante) détenu par le FSB contre l’ex-homme d’affaires Donald Trump en goguette à Saint-Pétersbourg, était vraie ? Cela expliquerait tellement de choses…

La Russie continue de régresser, de façon pathétique, vers son passé mortifère. Lundi, c’est une énorme statue de Felix Dzerjinski qui a été solennellement inaugurée à Moscou – le même Dzerjinski dont les Russes avaient déboulonné la statue sous les applaudissements, place de la Loubianka, en août 1991. Glorifier ainsi le premier chef de la Tcheka, l’ancêtre du KGB et du FSB, qui instaura la "terreur révolutionnaire" qui allait faire des millions de morts, du Goulag aux procès de Moscou, c’est proprement terrifiant.

On ne comprend rien à l’actualité russe si on ignore que Poutine, depuis son passage au KGB, croit réellement que tous les déboires rencontrés par son pays sont dus à l’action des services secrets américains : la chute du Mur de Berlin (1989), l’éclatement de l’URSS (1991), l’entrée des Baltes dans l’Otan (2004), le massacre de Beslan (2004), les manifs antirusses en Géorgie (2008), la révolution de Maïdan à Kiev (2014), la contestation des élections en Biélorussie (2020), tout a été fomenté par la CIA, tout ! Il le pense vraiment, et cette paranoïa très spécifique explique bien des choses…

La police politique, en Russie, n’est plus ce qu’elle était du temps de l’URSS. Les bureaucrates corrompus du FSB, les mêmes qui ont raté Navalny et Skrypal, ont été infichus de monter une fausse attaque de drone sur le Kremlin qui permette à Poutine de dire que les Ukrainiens ont voulu le tuer. Les fonctionnaires maladroits qui ont filmé à 2 heures du matin, depuis le dernier étage du magasin Goum, bien calés devant le Kremlin, l’explosion du petit drone au-dessus de la coupole du Sénat, ont travaillé pour rien : la terre entière a compris que c’était un montage. Caramba, encore raté !

En quoi l’attentat de Moscou qui visait Alexandre Douguine, proche du pouvoir russe, est-il un événement ? En cela que la population russe est prête à tout accepter de son tsar pourvu qu’il lui garantisse la sécurité et la tranquillité. La guerre en Ukraine, les Russes s’en tamponnent tant qu’ils ne sont pas directement concernés. Déjà, les bombes en Crimée ont changé la donne. Mais si Poutine et le FSB se sont plus capables d’empêcher les services ukrainiens - par hypothèse - de faire sauter des voitures de personnalités politiques dans les banlieues russes, alors rien ne va plus !

Terrifiant papier du journaliste Benoït Vitkine dans Le Monde de ce week-end sur l’incroyable régression du domaine de l’art et de la culture en Russie, du fait de la guerre en Ukraine : salles fermées, directeurs débarqués, metteurs en scène condamnés, acteurs emprisonnés, c’est à une chasse aux sorcières impitoyable, comme on n’en avait pas vu depuis l’époque de Brejnev, que Poutine et le FSB se livrent sur tout le territoire de la Russie – le pays de Tchekhov, Pouchkine, Gogol et Tchaïkovski, quelle misère !

Retenez ce nom : Nikolaï Patrouchev, 70 ans, secrétaire du Conseil de sécurité. Ce n'est pas lui qui virera Poutine (il est son plus fidèle soutien) mais il pourrait le remplacer au cas où. Ancien du KGB de Léningrad. Poutine le plaça à la tête du FSB quand il prit lui-même la tête du gouvernement en 1999. Idéologue et paranoïaque, il partage toutes les idées fantasmatiques de Poutine sur le "monde russe", l'Otan, les néo-nazis ukrainiens, etc, etc : quoi qu'il arrive, ne comptez pas sur cet homme de l’ombre, véritable numéro 2 du pouvoir russe, pour inverser le cours des choses...

Après la victoire de l’Ukraine au concours de l’Eurovision, la demande d’entrée dans l’Otan de la Finlande et de la Suède… Combien de temps Poutine ira-t-il ainsi de défaite en désillusion, de recul en déconvenue, du seul fait de ses erreurs en Ukraine ? Un loser au Kremlin, ce n’est pas envisageable. Même en Russie, on ne peut mentir éternellement à tout le monde. Nos médias, nombreux sur le terrain militaire, ne fouillent pas assez dans l’entourage du pouvoir russe : FSB, oligarques, militaires, Eglise, ministres… C’est pourtant de là, et seulement de là, que viendra l’issue de la guerre !

Pendant que nous nous occupons – légitimement – de nos élections présidentielles, la Russie de Poutine continue sa grande marche en arrière : après avoir interdit les associations d’historiens comme Memorial, puis les médias indépendants comme Novaïa Gazeta, le FSB vient de fermer les bureaux locaux des ONG étrangères comme Amnesty International ou Human Rights Watch. Au moins les choses sont claires : 1) le Goulag et les procès de Moscou n’ont jamais existé, 2) la Russie n’a déclenché aucune guerre en Ukraine, 3) il n’y a aucun problème de droits de l’homme en Russie. Vu ?

J'ai fait un rêve... Je me suis rappelé comment Staline a éloigné Trotski à la mort de Lénine (1924), comment Béria s’est vu privé de la succession de Staline (1953), comment Khrouchtchev a été limogé (1964), comme Gorbatchev a été écarté du pouvoir (1991). La leçon de l’Histoire est claire : ou bien le Grand chef est au Kremlin, et il risque d’être éliminé physiquement par quelque militaire courageux, façon Joukov ; ou bien il s’est mis en retrait dans un palais bunkerisé loin de la capitale, et il peut être "débranché" du pouvoir depuis Moscou - après une ultime bagarre, comme d’hab, entre le FSB et la direction de l’armée. Je dis ça, je dis rien…

L’affaire Navalny, en Russie, est un incroyable feuilleton qui confirme, entre autres, le récit que je fais dans mon livre ["KGB, La véritable histoire des services secrets soviétiques", Perrin, 2020] de la difficile transition entre le KGB et le FSB : quand l’URSS a disparu, fin 1991, les meilleurs agents de la Loubianka ont fondé leurs propres sociétés de sécurité, ou sont entrés comme responsables de la sécurité dans de grosses boîtes allemandes ou américaines. Le résultat est frappant : ceux qui sont restés en place, ceux qui se retrouvent aujourd’hui à la tête des "organes" à Omsk ou à Khabarovsk, ce ne sont pas les plus intelligents…

Si l’affaire Griveaux est sordide à souhait, elle est aussi particulièrement glauque. Et ferait, avouons-le, un super polar, tant elle repose sur des mystères bien croustillants. Pourquoi les services russes ont-ils laissé partir si facilement le sulfureux Pavlenski pour la France en janvier 2017 ? Pourquoi François Hollande lui a-t-il accordé si vite l’asile politique en mai 2017 ? De quoi ont vécu Pavlenski, sa femme et ses enfants depuis cette date ? Comment Pavlenski a-t-il fait la connaissance en 2019 d’Alexandra De Taddeo (photo), la stagiaire à l'Unesco qui a piégé Griveaux en... 2018 ? Allez, les confrères, on continue d’enquêter…

Je n’ai aucune info particulière sur l’affaire de l’empoisonnement à Londres de l’ex-espion Skripal, mais j’ai assez d’expérience en ce domaine pour savoir : 1) Que certains vétérans des services secrets russes, par-delà les changements de régime, ne cesseront jamais de vouloir se venger, à tout prix, de certains agents qui ont trahi la cause. 2) Que Poutine, ancien agent de base du KGB (photo) et ancien patron du FSB, est "des leurs", et que jamais il ne dénoncera ni ne poursuivra des "tchékistes", même s’ils commettent dans son dos des crimes hors-la-loi, et même s’il se serait bien passé de la crise diplomatique que ces têtes brûlées ont bêtement provoquée à la veille de sa réélection !