Le blog de Bernard Lecomte

Que d’inexactitudes et d’approximations, sur les chaines d’info, à propos du cessez-le-feu que Poutine a proposé le jour du Noël orthodoxe ! Quand l’inculture religieuse le dispute à la méconnaissance de la Russie, cela n’aide pas à l’explication du conflit. Comment comprendre cette "trêve" sans connaître la différence entre un catholique ukrainien, un orthodoxe ukrainien et un orthodoxe russe ? Entre la Nativité et l’Epiphanie ? Entre Rome et Byzance ? Entre calendrier julien et calendrier grégorien ? Entre foi populaire et culte identitaire ?

La candeur des médias européens est émouvante. Les voilà tous à se demander gravement si le cessez-le-feu "orthodoxe" ordonné hier par Poutine est une réalité, et s’il pourrait donner lieu à une négociation ! Cela fait onze mois, pourtant, que Poutine baratine, manipule, change de pied et se fiche du monde ! Qui croit une seconde à la sincérité de l’appel du patriarche Kirill, bras religieux du FSB ? Il s’agit évidemment d’expliquer aux Russes que ces dégénérés d’Ukrainiens ne respectent rien – et qu’ils sont, c’est flagrant, des suppôts de Satan !

A propos de l’Ukraine, on distingue deux sortes d’ "experts" dans les médias. 1) Ceux qui n’ont jamais mis les pieds en Russie et qui analysent doctement le conflit actuel de façon rationnelle : leur méconnaissance de ce pays déconcertant leur fait dire beaucoup de bêtises. 2) Ceux qui ont vécu en Russie, qui en parlent la langue, qui en connaissent la déraison, et qui savent que les Russes n'accepteront jamais de négocier autre chose que la capitulation de l’Ukraine – quoi qu'il arrive et même si cela doit prendre dix, vingt ou trente ans. Même si cela vous casse le moral, écoutez plutôt les seconds…

Au 300ème jour de l’invasion de l’Ukraine, beaucoup de commentateurs ont encore du mal à admettre que les Russes ne pensent pas comme nous. Nous, les Européens, sommes le produit d’une histoire nourrie de la pensée gréco-romaine, du christianisme médiéval, de la Renaissance et des Lumières. La Russie profonde n’a pas cet héritage. Nos valeurs sont : la raison, la vérité, le droit, la primauté de la personne, la liberté de l’individu, etc. Les Russes, sauf exceptions, ne les partagent pas. Il serait temps de le comprendre si on veut, un jour, mettre fin à la guerre…

Je raconte longuement dans mes Secrets du Kremlin (chap 17) comment Poutine retourne systématiquement contre les Européens, jusqu’à l’absurde, façon George Orwell, toutes les accusations portées contre lui. La dernière en date est magnifique : le Parlement européen ayant solennellement qualifié la Russie d’ "Etat promoteur du terrorisme", voilà que le chef de la milice Wagner, qui terrorise, en sus de l’Ukraine, tous les pays du Sahel, vient de demander à la Douma russe de déclarer la France "Etat promoteur du terroriste". Comme d'hab : c'est çui qui dit qui l'est ! Les Russes, décidément, n’ont aucune imagination.

Selon l’Unicef, 7 millions d’enfants ukrainiens sont menacés par le froid, cet hiver, en raison des bombardements russes qui détruisent systématiquement les infrastructures énergétiques de ce malheureux pays. Tous les témoignages venus d’Ukraine confirment que les Russes visent réellement à détruire ce peuple qui a eu le culot de leur résister. Détruire, affamer, bombarder, raser, terroriser, torturer, massacrer, anéantir : telle est la nouvelle vocation de la Russie, cet Etat terroriste et barbare qui fut, il y a longtemps, un pays magnifique.

Le Vatican a été victime, la semaine dernière, d’une attaque informatique massive provenant très vraisemblablement de la Russie. Tant que l’origine de cette cyberattaque n’est pas avérée, on comprend que la Curie se fasse discrète. Mais les médias ? J’ai posé la question sur LCI ce week-end – en vain. Aucun écho, aucune hypothèse, aucune enquête. Qu’au lendemain des vives critiques émises par le Pape contre les Russes, le gouvernement et les médias du Vatican aient été paralysés deux jours durant, quelle importance ?

L’info du jour, en Russie, ce n’est pas la N-ème déclaration contradictoire de Poutine sur sa volonté de trouver un "accord" (il dit à ses voisins kirghizes ce qu’ils veulent entendre), mais la condamnation de l’opposant Ilia Iachine, 39 ans (photo), à 8 ans ½ de prison ferme. Ce message-là, au moins, est clair : tout Russe qui critique publiquement la guerre de Poutine doit être éliminé - comme en Iran. L’exceptionnel courage de Iachine, qui a prononcé à son procès un discours admirable, est la preuve spectaculaire que tous les Russes n’ont pas sombré dans la barbarie.

Macron a encore fait une boulette. Les Européens sont stupéfaits. Les Ukrainiens, furibards. Qu’avait-il besoin de rappeler, sur TF1, qu’il faudrait donner à la Russie, quand les combats cesseront, "des garanties pour sa propre sécurité" ? Mais de quoi parle-t-il ? D’un traité garantissant à Vladimir Poutine que ses voisins européens, de la Finlande à l’Ukraine, promis, juré, ne l’envahiront pas ? Allons ! Que la Russie retire d’abord ses troupes d‘Ukraine et cesse de bombarder les villes de ce pays : il sera temps, ensuite, d’envisager des plans sur la comète !

La principale question, concernant la guerre en Ukraine, est celle-ci : comment concilier le principe universel d’assistance à population en danger avec le principe de la dissuasion nucléaire ? Dès lors que les Russes bombardent les villes ukrainiennes pour priver d’eau et d’électricité des dizaines de millions de civils, l’ONU devrait pouvoir liguer la communauté internationale contre ces actes barbares. Mais que faire quand les mêmes Russes, membres du conseil de sécurité de l'ONU, brandissent leurs missiles nucléaires pour dissuader quiconque de se porter concrètement au secours de l’Ukraine ?

Avez-vous écouté hier soir, sur BFM-TV, le vice-président du Parlement russe, Piotr Tolstoï ? Pour lui comme pour la grande majorité des Russes, cela ne fait aucun doute : la Russie finira, tôt ou tard, par rayer de la carte l’Etat ukrainien, et supprimer définitivement la nation ukrainienne. Ce n’est qu’une question de temps. Il nous donne d’ailleurs rendez-vous sur la frontière polonaise, dans trois ans, dix ans, trente ans, pour assister à la capitulation officielle de l’Ukraine, et donc à sa disparition. Qu’on ne s’y trompe pas : c’est ce que croit réellement, en effet, l'immense majorité de la population russe. Et cela fait froid dans le dos.

L’armée russe recule. Les soldats, épuisés et mal équipés, désertent en masse. Nous sommes en février 1917. Le tsar (Nicolas II, pas Poutine !), chef des armées, est écarté du pouvoir par son entourage civil et militaire. Un ministre plus intelligent que les autres (Kerenski, pas Patrouchev ni Kirienko !) tente de remettre la Russie sur ses pieds. Mais un personnage surgit de l’ombre, il n’a aucun scrupule, il a constitué une milice ouvrière grâce à laquelle il prend le pouvoir en une nuit (Lénine, pas…Prigojine !). Son coup d’État, qu'il baptise "révolution", achène de plonger la Russie dans le chaos. Je sais, l’histoire de se répète jamais. Quoique.

L’info du jour, c’est l’arrivée de l’hiver en Ukraine. Un hiver qui s'annonce meurtrier puisque les bombardements russes ont sciemment privé le quart de la population civile ukrainienne – 12 millions de gens comme vous et moi – d’électricité, d’eau et de chauffage. Vous imaginez les conséquences, quand il fera – 10, pour les écoles, les hôpitaux ou les maisons de retraite ? Poutine est bel et bien, au bas mot, un criminel de guerre. Son objectif est bien l’élimination de la nation ukrainienne. En droit international, cela s’appelle un génocide. Mais qu'importent aux dirigeants russes le droit, la vérité, la vie humaine ?

Quand on vous dit que les Russes sont irrationnels ! N’importe qui, chez nous, comprend que Poutine n’a aucun intérêt, en pleine réunion du G20, à braquer les grands de ce monde en bombardant l’Ukraine d’une pluie de missiles vengeurs ou, à plus forte raison, en balançant un missile en Pologne, membre de l’Otan ! A quoi bon exaspérer ses derniers soutiens dans le monde dans le seul but de faire du mal aux Ukrainiens et de semer la terreur en Europe ? Une fois de plus, quand on tente d’expliquer les faits et gestes de Poutine par des arguments raisonnables, on se trompe…

La Russie de Poutine est un éternel retour en arrière. Pendant la Terreur rouge, dans les années 30, certains condamnés au Goulag essayaient d’écrire à Staline pour l’alerter sur les abus de sa police. Poutine a retenu la leçon : il a confié à ses gouverneurs la gestion de la guerre dans les régions, ce qui pousse les soldats, leurs mères ou leurs épouses à protester auprès de ces gouverneurs pour les excès et les folies de cette mobilisation militaire… en espérant que Poutine sera au courant de leur démarche et qu’il sanctionnera le gouverneur local ! Oui, je sais, c’est désespérant.

Qui pour remplacer Poutine ? Prématurée ou non, la question envahit les écrans. Un démocrate ? Ne rêvons pas. Un ultranationaliste ? Un Prigojine, un Kadyrov ? Ce n’est pas à exclure, mais c'est fort peu probable. Plutôt un dirigeant actuellement proche de Poutine ? Il faut l'espérer. Patrouchev, son bras droit ? Michoustine, le premier ministre ? Medvedev, l’ex-président ? Sobianine, le maire de Moscou ? Si j’avais à parier, je dirais Kirienko, l’ancien premier ministre. La vraie question étant : ce successeur, quel qu’il soit, parviendra-t-il éviter un effondrement du régime ?

Voilà huit mois tout juste que Vladimir Poutine a lancé son armée à la conquête de l’Ukraine. Huit mois de crimes, d’horreurs, de massacres souvent barbares. Huit mois de terreur infligés à tout un peuple qui voulait vivre comme les autres peuples d’Europe. C’est cela que Poutine ne lui pardonne pas. L’ancien voyou des rues de Leningrad devenu manipulateur professionnel puis dictateur solitaire a donc décidé de rayer l’Ukraine de la carte, d’en bombarder les villes, de faire souffrir sa population. Tuer, affamer, violer, voler, terroriser, détruire : telle est donc la nouvelle vocation de la Russie moderne. Quelle misère !

Pourquoi Poutine bombarde-t-il sauvagement les villes d’Ukraine ? Militairement, tout le monde est d’accord : cela ne sert à rien. Politiquement, c’est aussi absurde. Alors, pourquoi ? Beaucoup de commentateurs français n’arrivent pas à admettre que ces frappes meurtrières n’obéissent pas à quelque chose de rationnel. Poutine, lui, il veut faire du mal aux Ukrainiens qui lui résistent. Faire du mal à ces sous-Russes qui l’ont humilié en tapant le pont de Kertch. Faire du mal à ces populations qui osent préférer la démocratie à l’européenne à la glorieuse domination grand-russe !

Quand on aime la Russie, quand on y a vécu, quand on en connait l’histoire, on souffre de voir ce qu’elle est devenue sous Vladimir Poutine : un peuple dépolitisé, décervelé, dont les élites, les vraies, ont fui à l’étranger ou croupissent en prison ; des médias où les crétins, les brutes, les incultes et les cinglés ont pris le pouvoir ; un immense pays riche de son sous-sol mais ruiné par toute une classe de mafieux sans foi ni loi. Combien de Russes intelligents et cultivés pleurent de rage, en secret, le soir, quand ils allument la télé ? Combien ont perdu l'espoir de voir leur pays revenir un jour à la civilisation ?

Le débat qui a suivi le discours d’Elisabeth Borne ce lundi à l’Assemblée nationale, a marqué une étape : il n’y a plus de parti, en France, qui défende Poutine. Ni à l’extrême-gauche, qui reste pourtant farouchement anti-américaine, ni à l’extrême-droite, où nul n’admire plus les muscles du président russe. Devant les massacres, les bombardements, les crimes de guerre et les menaces nucléaires, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont dû changer de discours. Il aura fallu huit mois pour que la France parle enfin d'une seule voix. Mieux vaut tard que jamais.