Le blog de Bernard Lecomte

Ce qu'on a du mal à comprendre dans l’affaire Prigojine, c’est que l'immense Russie est dirigée par 40 personnes qui se fréquentent étroitement, pour la plupart, depuis 30 ans : tous les Poutine, Patrouchev, Medvedev, Prigojine, Narychkine, Choïgou, Loukachenko, Peskov et autres Kirienko se connaissent absolument par cœur. Quand l’un d’entre eux pète un plomb, il suffit de quelques coups de fil pour régler l’incident et rétablir en secret les équilibres internes de cet Etat mafieux dirigé par un petit groupe qu’on appelle, littéralement, une oligarchie..

Il ne s’est rien passé à Moscou samedi. Vladimir Poutine vous l’a bien dit, ce matin : personne ne sera poursuivi pour trahison, tout va bien en Russie ! Evgueni Prigojine vous l’a confirmé : il n’a jamais voulu faire de putsch, et tout va pour le mieux. En Ukraine, la guerre continue comme avant. La presse russe confirme, les chancelleries étrangères aussi. Un peu de chahut politique, allez, c’est déjà oublié. Quant à la population, elle n'a rien vu, elle est comme son armée : elle attend de savoir à qui elle obéira demain. A l’est, rien de nouveau…

Quand Poutine a massé son armée aux frontières de l’Ukraine, on a dit : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne vont quand même pas aller bombarder Kiev !". Quand ils ont miné le barrage de Kakhovka, on a dit : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne vont pas inonder tout le sud du Dniepr !" Aujourd’hui, les soldats de Poutine ont miné la centrale nucléaire de Zaporijia, et on entend les mêmes dire : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne feront pas une chose pareille !" Y a un moment, hélas, où il va bien falloir appeler les Russes par leur nom…

Plongé dans les Mémoires d’Edouard Chevardnadzé, ministre et ami de Mikhaïl Gorbatchev, fer de lance de la perestroïka de 1985 à 1990. Fasciné de lire qu’il avait prévu le putsch des conservateurs en entendant ceux-ci lui reprocher vivement, lors de la réunification allemande : d’avoir rapproché de la Russie la frontière orientale de l’OTAN (déjà) ; d’avoir trahi la mémoire des vainqueurs du nazisme (déjà). Il faut toujours remettre les choses en perspective : si Vladimir Poutine faisait demain en Russie un référendum en faveur de la reconstruction du Mur de Berlin, il le gagnerait.

La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a ressoudé l’Europe et réveillé l’Otan. Elle ne doit pourtant pas faire oublier le triple aveuglement dont les Occidentaux ont fait preuve en amont de ce conflit. 1) Dans les années 1996-2000, ils n’ont pas vu la Russie de Boris Eltsine se transformer en un Etat mafieux. 2) En février 2007, ils n’ont pas entendu Vladimir Poutine, à la conférence de Munich, déclarer ouvertement la guerre à l’Occident. 3) En février 2014, ils ont choisi de ne pas réagir quand le même Poutine a annexé la Crimée et mis le feu au Donbass. Il faudra, un jour, revenir sur tout cela…

Dès que les Chinois ont froncé les sourcils en condamnant la destruction du barrage de Kakhovka, Poutine s’est empressé de dénoncer publiquement cet "acte barbare" (sic). Les Occidentaux ont toujours autant de mal à admettre que Vladimir Poutine se contrefiche à ce point de la vérité et du droit. On a des dizaines d’exemples, depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, de cette façon déconcertante de retourner les mots comme des gants, contre toutes les évidences. Les "barbares", les "néonazis", les "criminels de guerre", les "terroristes", en Russie, ce sont les Occidentaux, les Européens, les Français, vous et moi, est-ce clair ?

Pour contrecarrer la contre-offensive que va lancer l’Ukraine contre l’occupant russe, le Kremlin a réussi à rendre le Dniepr infranchissable sur toute sa partie sud en faisant sauter le barrage de Kakhovka. Que l'opération condamne des dizaines de milliers de civils à être évacués, qu'elle soit un écocide insensé comme il y en a eu peu dans l’histoire, qu’elle fasse courir un risque majeur à la centrale nucléaire de Zaporijia, tout cela n’a aucune importance aux yeux de Vladimir Poutine, qui n’en est pas à son premier crime de guerre. Et qui confirme, au passage, qu’il n’a aucunement l’intention de négocier quoi que ce soit…

Voilà une photo incroyable qui, normalement, devrait figurer demain dans les livres d’histoire. Ces 46 chefs d’Etat et de gouvernement réunis jeudi à Chisinau, en Moldavie (sur le territoire de l’ex-URSS) pour le premier sommet de la Communauté politique européenne, accueillant chaleureusement leur collègue européen Volodymyr Zelenski ! Oui, certes, certains pays du sud ménagent encore la Russie, mais les 46 pays qui composent notre vieux continent bimillénaire sont unanimes pour condamner Poutine à devenir un paria. L’Europe, la vraie, n’est pas morte : elle bouge encore !

Je dois confesser ici une erreur – un jugement que j’ai exprimé dans ce blog, et que je crois, somme toute, erroné. Après quinze mois d’observation des faits, de relecture des textes, de confrontation des arguments, de discussions avec des experts, j’en arrive à une conclusion désagréable mais indéniable : en fait, si la France et l’Allemagne ne s’étaient pas opposées à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, Vladimir Poutine n’aurait jamais osé agresser ce pays. Tout ce qui se passe, tout ce qui se dit à Moscou ces derniers temps va dans ce sens. Voilà, mea culpa, c'est dit.

Cela va faire quinze mois que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a plongé l’Europe dans le drame et l’insécurité. Quinze mois que diplomates, politiques, militaires, journalistes et observateurs expliquent plus ou moins ingénument qu’il faut "faire la paix". Or, pardon de me répéter, mais il y a un moyen simple de mettre fin à cette guerre : IL SUFFIT QUE LES SOLDATS RUSSES RENTRENT CHEZ EUX. Voilà. Or il y a un homme, un seul, qui s’oppose à cette solution, et qu'il faut convaincre ou contraindre : Vladimir Poutine. Tout le reste est littérature de bazar, pia-pia médiatique et complotisme infantile.

Cette histoire de drapeaux européens sur la façade de nos mairies est lamentable. Au moment où se joue en Europe une guerre atroce, menée par un empire russe qui considère les Européens comme des néo-nazis et qui ne supporte pas que l’Ukraine ait choisi d’adhérer à l’Europe pour ses valeurs et sa culture, justement, voilà que des petits politiciens franchouillards s’interrogent gravement, au mépris de leur propre histoire, pour savoir s’ils sont européens ou non ? Ce ne sont pas des drapeaux qu’il faut imposer aux mairies, mais des livres d’histoire ! Et des écrans de télé, pour ceux qui ne voient pas ce qui nous menace !

POBEDA ! La Victoire ! La victoire contre les nazis ! Le 9 mai 2023 risque d’être, en Russie, un sacré fiasco. Quel bilan ahurissant ! En quatorze mois, Poutine et ses sbires ont ressuscité l’Otan, dynamisé l’Union européenne, inventé une nation ukrainienne, appauvri la population russe et exclu leur pays du monde civilisé. On sait maintenant que la Russie est pauvre et corrompue, que l’armée russe est nulle, que le FSB rate tout ce qu’il fait, que la TV russe est grotesque, que la société est lobotomisée, que la Chine est en train d’en faire un vassal. Allez, tous avec Poutine : "Hourra ! Hourra ! Hourra !"

La police politique, en Russie, n’est plus ce qu’elle était du temps de l’URSS. Les bureaucrates corrompus du FSB, les mêmes qui ont raté Navalny et Skrypal, ont été infichus de monter une fausse attaque de drone sur le Kremlin qui permette à Poutine de dire que les Ukrainiens ont voulu le tuer. Les fonctionnaires maladroits qui ont filmé à 2 heures du matin, depuis le dernier étage du magasin Goum, bien calés devant le Kremlin, l’explosion du petit drone au-dessus de la coupole du Sénat, ont travaillé pour rien : la terre entière a compris que c’était un montage. Caramba, encore raté !

En avril 2022, il y a juste un an, j’expliquais ici même que Poutine ayant raté l’annexion express de l’Ukraine, il s’était replié sur le Donbass avec l’idée de figer la guerre sur ce front-là pour 5, 10 ou 30 ans, et de faire de cette partie de l’Ukraine ce que Staline avait fait avec les pays baltes en 1945 : une annexion de fait, sinon de droit. Le tout en martelant jour et nuit que c’est l’OTAN qui attaque la Russie, que la population russe doit se défendre, à tout prix, contre les envahisseurs occidentaux et, bien sûr, que l’Ukraine elle-même ne perd rien pour attendre…

Ce 17 avril, Jean-Luc Mélenchon a été condamné à 25 ans de prison pour s’être opposé au projet de réforme des retraites promulgué par Emmanuel Macron... Voilà une info inimaginable dans notre République si critiquée par… Jean-Luc Mélenchon, justement. Or ce matin, à Moscou, l’opposant Vladimir Kara-Murza, 41 ans, a bien été condamné à 25 ans de prison pour avoir exprimé son opposition à la guerre menée contre l’Ukraine par Vladimir Poutine – vous savez, Poutine, le dirigeant si admiré par Jean-Luc Mélenchon, précisément ! Ah ben oui, je sais, où va-t-on si on commence à comparer la France et le reste du monde !

Intéressant papier, dans "Le Point", sur les Français, très minoritaires, qui défendent encore Poutine – alors qu’on ne peut plus nier grand’ chose, quatorze mois après l’invasion armée de l’Ukraine. Or il reste des politiques (Mariani, Philippot, Asselineau, Royal), des intellectuels (Couteaux, Sapir, Ferry, Todd), des journalistes (Bercoff, Le Sommier) et des agents d’influence (Baud, Denécé, Galactéros), qui continuent de justifier l’injustifiable. Sans oublier Pierre de Gaulle, un cas d'école ! A quand un autre papier sur leurs motivations respectives ?

Les Français n’écoutent pas assez la télévision russe. Ils y apprendraient, images à l’appui, qu’en réalité, Macron, le "pétainiste" bien connu, est contesté par d'impressionnantes foules de manifestants "qui ne supportent pas le soutien que l''Etat français apporte aux nazis ukrainiens". A Macron, ce dictateur qui réprime son propre peuple, le présentateurs-vedette Vladimir Soloviev lance : "Macron ! Démissionne !" Et ses collègues d'expliquer en boucle que la France envahie par des hordes de rats et submergée par les poubelles en feu "devrait être rayée de la carte, cela ne dérangerait personne !"

Lu avec grand intérêt, sous la plume de Hugues Pernet, le Journal du premier ambassadeur de France à Kiev, paru cette semaine chez Flammarion. Passionnant récit, terriblement prémonitoire, de l’affrontement Ukraine-Russie commencé bien avant la fin de l’URSS, par une reconnaissance mutuelle de souveraineté signée par la Russie (Eltsine) et l’Ukraine (Kravtchouk) le... 19 novembre 1990 ! Tout y est, déjà : la Crimée, le Donbass, la menace russe, etc. Ce que les dirigeants français, médusés par Gorbatchev et incapables d’anticiper la fin de l’URSS, ne comprendront qu’un an plus tard ! Passionnant, vraiment…

Un grand merci au ministre Sergueï Lavrov, qui a vendu la mèche à propos de la Géorgie ! A l'heure où le gouvernement pro-russe de ce petit pays sympathique (que Vladimir Poutine a commencé à envahir en 2008) est dangereusement contesté par sa population à 85 % pro-européenne, le redoutable ministre des Affaires étrangère de Russie a expliqué, hier, que… les Américains avaient commencé à attaquer la Géorgie !! Le scénario est exactement le même que pour l’Ukraine : c’est l’Occident qui mène un coup d'Etat à Tbilissi, il va donc falloir que la Russie réagisse, etc, etc.

En Géorgie, ce petit pays partiellement occupé par la Russie, l’immense majorité des gens (85 %) veut adhérer à l’Union européenne. Sous la pression de Poutine, le gouvernement de Tbilissi a tenté de torpiller la candidature de la Géorgie à l’Europe en promulguant une loi policière indigne. Mais cette manœuvre a fait descendre la population dans la rue… au point de faire reculer le pouvoir. On se croirait en Ukraine en 2014. La question étant : comment Poutine va-t-il réagir ? En envahissant la Géorgie ?