Le blog de Bernard Lecomte

La Russie continue de régresser, de façon pathétique, vers son passé mortifère. Lundi, c’est une énorme statue de Felix Dzerjinski qui a été solennellement inaugurée à Moscou – le même Dzerjinski dont les Russes avaient déboulonné la statue sous les applaudissements, place de la Loubianka, en août 1991. Glorifier ainsi le premier chef de la Tcheka, l’ancêtre du KGB et du FSB, qui instaura la "terreur révolutionnaire" qui allait faire des millions de morts, du Goulag aux procès de Moscou, c’est proprement terrifiant.

Les Européens ont-ils remarqué que Dmitri Outkine, fondateur de la milice Wagner, mort en même temps que son ami Prigojine, a été enterré dans le "Panthéon des défenseurs de la patrie", à Mytichtchi, comme un héros national russe ? Or Outkine était un néo-nazi, un vrai, et pas seulement à cause de ses tatouages ostentatoires : un admirateur d’Hitler qui n’avait pas choisi le nom "Wagner" par hasard ! Ainsi va la Russie de Poutine, lequel a déclenché la guerre contre les Ukrainiens au prétexte... qu’ils sont néo-nazis !

L’info est authentique. A la suite du récent sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, une université de Sibérie a proposé d’accueillir des migrants africains dans des "afro-villages" pour compenser la chute démographique de cette région. Las ! C’est un tsunami d’insultes racistes qui a envahi les réseaux sociaux, venues de toute la Russie. Au point que le recteur de ladite université a pris une décision : les "afro-villages" n’accueilleront que des Africains… blancs. Quand on vous dit que la Russie est un pays un peu spécial !

Ce qui me stupéfie, dans l’affaire Prigojine, c’est l’espèce de naturel avec lequel les Français prennent la chose. Ben oui, c’est la Russie, c’est comme ça, là-bas ! Que dirait-on, en France, si le président Macron faisait abattre au-dessus de Dijon l’avion ramenant Eric Ciotti de Paris à Nice, ce matin, sans que personne ne s’offusque de ce mode d’action politique ? Vladimir Poutine renvoie son pays au Moyen âge, et alors ? Le silence de ses admirateurs sur cette affaire, de Sarkozy à Mélenchon, de Le Pen à Royal, est assourdissant…

Qui a assassiné Evgueni Prigojine ? A priori, les "services" de l’armée russe (GRU), et pas forcément sur ordre de Poutine : c’est l’armée qui détestait le plus le patron de Wagner, dont elle voulait se venger à tout prix. Ou bien c’est le FSB (le successeur du KGB), auquel cas Poutine était forcément au courant, s'il n'a pas donné l'ordre lui-même. Dans les deux cas, l’événement rappelle que les quarante types qui dirigent cet Etat mafieux ont décidément des mœurs difficiles à comprendre par les observateurs européens !

On ne comprend rien à l’actualité russe si on ignore que Poutine, depuis son passage au KGB, croit réellement que tous les déboires rencontrés par son pays sont dus à l’action des services secrets américains : la chute du Mur de Berlin (1989), l’éclatement de l’URSS (1991), l’entrée des Baltes dans l’Otan (2004), le massacre de Beslan (2004), les manifs antirusses en Géorgie (2008), la révolution de Maïdan à Kiev (2014), la contestation des élections en Biélorussie (2020), tout a été fomenté par la CIA, tout ! Il le pense vraiment, et cette paranoïa très spécifique explique bien des choses…

Hallucinante interview de Sarkozy dans le Fig-Mag. Je cite… "Les Russes sont des slaves : ils sont différents de nous" : ben… et les Polonais, les Tchèques, les Ukrainiens, ce ne sont pas des slaves ? "Nous avons refusé l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN pour ne pas laisser Poutine dériver vers une paranoïa anti-occidentale" : bravo, c’est réussi ! "La Crimée était russe jusqu’en 1954" : il a fumé quoi, Sarko ? "L'Ukraine ne doit entrer ni dans l’Union européenne, ni dans l’OTAN" : eh bien, Poutine va être content !

Acceptera-t-on ou non les sportifs russes aux JO de Paris en 2024 ? Le silence des dirigeants du CIO est fascinant. La question, certes, n’est pas simple : d’autres pays sont en guerre, dont les sportifs seront présents. Alors ? Fermer les yeux sur la guerre de Poutine ? Accepter les Russes sous bannière "neutre" ? Belle hypocrisie, qui aboutira – comme on l’a vu, ce jeudi, aux Mondiaux d’escrime de Milan – à disqualifier tous les sportifs ukrainiens, même quand ils battent des Russes, un comble ! Va peut-être falloir prendre des décisions, là…

Et si la contre-offensive ukrainienne ne donnait aucun résultat ? Et si Vladimir Poutine confortait son pouvoir au Kremlin ? Ce ne sont que des hypothèses, certes, mais on a trop tendance à les occulter. Et si la Chine, ou la Turquie, ou je ne sais qui, parvenait à réunir des seconds couteaux des deux camps, des gens faciles à désavouer, au cas où, pour envisager ce qui pourrait se négocier (genre : le Donbass contre la Crimée). Il resterait à permettre aux Russes de transformer cela en une "victoire" pour Poutine, ce qui, au pays des mensonges les plus éhontés, n’est peut-être pas impossible…

L’invasion russe en Ukraine l’a spectaculairement prouvé : l’ONU ne sert à rien. On n’a pas besoin, à ce niveau mondial, de super-bureaucrates qui "réprouvent" sévèrement, qui "condamnent" formellement ou qui "s’inquiètent" gravement. On a besoin d’une organisation qui, au nom des peuples qui la constituent, soit capable d’exclure un de ses membres s’il viole les statuts établis et reconnus par tous les autres. Oui mais la Russie dispose de l’arme nucléaire ! Justement : si l’ONU n’a aucun moyen d’interdire les armes nucléaires, alors il faut inventer autre chose. Cqfd . 

L’Ukraine, c’est un peu plus grand que la France. C’est exactement au cœur de l’Europe. L’Ukraine, c’est la France – mais voisine de la Russie, pour son malheur. Bakhmout, c’est Colmar – une ville moyenne, dans l’est, qui ne demandait qu’à vivre tranquille. Odessa, c’est Marseille – une métropole maritime au passé prestigieux et au patrimoine exceptionnel. Les Français peuvent-ils imaginer des navires de guerre russes, au large de Marseille, bombarder la Bonne Mère ? C’est pourtant la réalité, à 2.500 km près. C’est pour cela qu’on ne peut oublier les Ukrainiens.

Comment négocier quoi que ce soit avec un chef d’Etat qui ment, qui truque, qui falsifie, qui manipule, et à qui la notion même de vérité est totalement étrangère ? Affirmer que Staline a sauvé la Pologne, quand même, il faut oser ! Alors que Staline a négocié avec Hitler un partage de la Pologne, que les chars soviétiques ont envahie le 17 septembre 1939 ! La question étant, une fois de plus : le monde entier sait tout cela, bien sûr, mais est-il possible que les Russes, eux, croient les fadaises que profère leur chef ? Soljenitsyne, au secours !

Formidable image que celle de l’immense foule des habitants de Vilnius acclamant massivement Volodymyr Zelensky et son épouse, ce mardi, à deux pas de la réunion des grands chefs de l’Otan. Un parfum de Solidarnosc. Faut-il rappeler que la guerre, ce n’est pas seulement l’affaire des diplomates, des militaires et des technocrates ? Les peuples de Lituanie et d’Ukraine, eux, connaissent l’histoire. Ils en ont bavé. Ils savent, dans leur chair, jusqu’où les Russes sont capables d’aller si leurs soldats ne sont pas repoussés hors d’Ukraine.

Ce qu'on a du mal à comprendre dans l’affaire Prigojine, c’est que l'immense Russie est dirigée par 40 personnes qui se fréquentent étroitement, pour la plupart, depuis 30 ans : tous les Poutine, Patrouchev, Medvedev, Prigojine, Narychkine, Choïgou, Loukachenko, Peskov et autres Kirienko se connaissent absolument par cœur. Quand l’un d’entre eux pète un plomb, il suffit de quelques coups de fil pour régler l’incident et rétablir en secret les équilibres internes de cet Etat mafieux dirigé par un petit groupe qu’on appelle, littéralement, une oligarchie..

Il ne s’est rien passé à Moscou samedi. Vladimir Poutine vous l’a bien dit, ce matin : personne ne sera poursuivi pour trahison, tout va bien en Russie ! Evgueni Prigojine vous l’a confirmé : il n’a jamais voulu faire de putsch, et tout va pour le mieux. En Ukraine, la guerre continue comme avant. La presse russe confirme, les chancelleries étrangères aussi. Un peu de chahut politique, allez, c’est déjà oublié. Quant à la population, elle n'a rien vu, elle est comme son armée : elle attend de savoir à qui elle obéira demain. A l’est, rien de nouveau…

Quand Poutine a massé son armée aux frontières de l’Ukraine, on a dit : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne vont quand même pas aller bombarder Kiev !". Quand ils ont miné le barrage de Kakhovka, on a dit : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne vont pas inonder tout le sud du Dniepr !" Aujourd’hui, les soldats de Poutine ont miné la centrale nucléaire de Zaporijia, et on entend les mêmes dire : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne feront pas une chose pareille !" Y a un moment, hélas, où il va bien falloir appeler les Russes par leur nom…

Plongé dans les Mémoires d’Edouard Chevardnadzé, ministre et ami de Mikhaïl Gorbatchev, fer de lance de la perestroïka de 1985 à 1990. Fasciné de lire qu’il avait prévu le putsch des conservateurs en entendant ceux-ci lui reprocher vivement, lors de la réunification allemande : d’avoir rapproché de la Russie la frontière orientale de l’OTAN (déjà) ; d’avoir trahi la mémoire des vainqueurs du nazisme (déjà). Il faut toujours remettre les choses en perspective : si Vladimir Poutine faisait demain en Russie un référendum en faveur de la reconstruction du Mur de Berlin, il le gagnerait.

La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a ressoudé l’Europe et réveillé l’Otan. Elle ne doit pourtant pas faire oublier le triple aveuglement dont les Occidentaux ont fait preuve en amont de ce conflit. 1) Dans les années 1996-2000, ils n’ont pas vu la Russie de Boris Eltsine se transformer en un Etat mafieux. 2) En février 2007, ils n’ont pas entendu Vladimir Poutine, à la conférence de Munich, déclarer ouvertement la guerre à l’Occident. 3) En février 2014, ils ont choisi de ne pas réagir quand le même Poutine a annexé la Crimée et mis le feu au Donbass. Il faudra, un jour, revenir sur tout cela…

Dès que les Chinois ont froncé les sourcils en condamnant la destruction du barrage de Kakhovka, Poutine s’est empressé de dénoncer publiquement cet "acte barbare" (sic). Les Occidentaux ont toujours autant de mal à admettre que Vladimir Poutine se contrefiche à ce point de la vérité et du droit. On a des dizaines d’exemples, depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, de cette façon déconcertante de retourner les mots comme des gants, contre toutes les évidences. Les "barbares", les "néonazis", les "criminels de guerre", les "terroristes", en Russie, ce sont les Occidentaux, les Européens, les Français, vous et moi, est-ce clair ?

Pour contrecarrer la contre-offensive que va lancer l’Ukraine contre l’occupant russe, le Kremlin a réussi à rendre le Dniepr infranchissable sur toute sa partie sud en faisant sauter le barrage de Kakhovka. Que l'opération condamne des dizaines de milliers de civils à être évacués, qu'elle soit un écocide insensé comme il y en a eu peu dans l’histoire, qu’elle fasse courir un risque majeur à la centrale nucléaire de Zaporijia, tout cela n’a aucune importance aux yeux de Vladimir Poutine, qui n’en est pas à son premier crime de guerre. Et qui confirme, au passage, qu’il n’a aucunement l’intention de négocier quoi que ce soit…