Le blog de Bernard Lecomte

En Géorgie, ce petit pays partiellement occupé par la Russie, l’immense majorité des gens (85 %) veut adhérer à l’Union européenne. Sous la pression de Poutine, le gouvernement de Tbilissi a tenté de torpiller la candidature de la Géorgie à l’Europe en promulguant une loi policière indigne. Mais cette manœuvre a fait descendre la population dans la rue… au point de faire reculer le pouvoir. On se croirait en Ukraine en 2014. La question étant : comment Poutine va-t-il réagir ? En envahissant la Géorgie ?

Pardon d’y revenir, mais c’est fondamental. Un an après l‘invasion ratée de l’Ukraine par la Russie, il devient difficile de comprendre tout ce qui se joue sur le plan international. La clef, c’est le choix entre le droit et la force. Il y a des pays qui considèrent que le droit est une valeur suprême, car il empêche le retour à la barbarie : l’Europe, l’Amérique du nord, une partie des pays émergents. Et il y a ceux qui considèrent que la force est primordiale dans les relations entre les hommes : la Russie, la Chine, l’Iran, etc. Gardez en mémoire cette équation simplissime : le droit ou la force...

Que pensent, que veulent, que contestent, que souhaitent les Français face à la guerre en Ukraine ? On n’en sait rien. Aucun grand débat parlementaire, aucune manifestation géante, aucune conférence de presse exceptionnelle : Macron serait-il la seule voix de la France ? En Ukraine, on défend la démocratie, mais en France, on la néglige grave. Or, si la guerre tourne mal, si elle dure longtemps, si elle nous divise, croit-on, en haut lieu, que Macron tout seul saura maintenir les Français en alerte ? Comment stimuler l’intérêt, entretenir la solidarité, canaliser les divergences, si le peuple et ses représentants sont absents du débat ?

L’Europe, Ukraine oblige, est en train de se refaire une santé, une cohérence, un équilibre… mais sans la France ! Avez-vous vu beaucoup de ministres français aller se montrer en Pologne, en Finlande, en République tchèque, en Lituanie, en Hongrie, en Moldavie ? Comme si Macron, à lui seul, pouvait faire le job ! Comme si l’axe franco-allemand était encore d’actualité ! Entre les responsables LFI et RN qui se font tout petits et ceux de la majorité qui restent planqués sur leur territoire, la France est en voie de marginalisation sur la scène qui décidera de son avenir !

Le même jour, donc, les président Biden et Poutine ont prononcé, comme au temps de la guerre froide, des discours spectaculaires. A Varsovie, devant une foule enthousiaste, l’Américain a refait, non sans talent, le coup de Reagan devant le mur de Berlin : "Mr Gorbatchev, abattez ce Mur !". A Moscou, devant une morne salle pleine de vieux apparatchiks somnolents, le Russe a ressassé une litanie éculée des mensonges et des menaces qu’il profère depuis un an. Des gens qui y croient (à Varsovie) contre des gens qui n’y croient pas (à Moscou) : les images, sur les télés du monde entier, en disent plus que les discours…

Un an après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, une idée commence à poindre dans l’opinion. Cette guerre aussi absurde que meurtrière n’est-elle pas en train de chambouler l’ordre mondial, et pas seulement la carte de l’Europe ? Trois décennies après la chute du Mur, l’affaire ukrainienne aura fait prendre conscience aux Occidentaux qu’ils ne sont plus le centre du monde, et que la démocratie libérale n’est plus le rêve des pays émergents. La force, sur terre, va-t-elle supplanter le droit ? Un sacré enjeu….

Les Européens ont-ils bien entendu le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, l’autre soir, sur la chaîne Rossia 24 ? Tranquillement, clairement, posément, le ministre a expliqué qu'après avoir vaincu l'Ukraine, la Russie envahirait ensuite la Moldavie – ce petit pays ex-soviétique voisin de la Roumanie qui, lui aussi, a préféré rejoindre la cvilisation européenne plutôt que de subir, directement ou non, le joug russe. Inutile de préciser, tellement c’est évident, qu’après la Moldavie, la Russie tentera de reconquérir les Pays baltes. La question étant : ...et ensuite ?

La sale guerre menée par Vladimir Poutine contre la nation ukrainienne n’a pas fini d’écœurer ceux qui l’observent de près. Lorsque l’armée russe contrôlait Kherson, les "autorités" ont proposé aux enfants du coin d’aller respirer un peu dans des colonies de vacances. On sait aujourd’hui que c’était une ruse. Des milliers d’enfants ukrainiens, pas du tout orphelins, ont ainsi été déportés en Sibérie, où ils ont été "adoptés" par des familles d’accueil chargées d’en faire de parfaits petits Russes. Si cela n’est pas un crime contre l’humanité, qu’est-ce que c’est ?

Quoi de plus utile que l’histoire pour décrypter l’actualité en Ukraine ? Qui se souvient de la décision d’Hitler de remilitariser la Rhénanie, le 7 mars 1936, au mépris du droit international, et notamment du traité de Versailles ? A la stupéfaction générale, ni la France ni la Royaume Uni, les deux superpuissances de l’époque, n’ont réagi. Encouragé par cette démission, Hitler a tranquillement annexé l’Autriche (mars 1938), puis les Sudètes (août 1938), avant de signer, la bouche en cœur, les accords de Munich (septembre 1938). Faut-il rappeler aux pacifistes d’aujourd’hui la suite de ce fatal engrenage ?

Bon, je résume en quatre points, mot pour mot, les deux derniers discours de Poutine. (1) Les pays de l’Otan ont commencé la conquête militaire de l’Ukraine, territoire historiquement russe, ce qui nous force à réagir. (2) Comme au temps d'Hitler, l'objectif des Européens, et surtout des Allemands, est d'exterminer la Russie en pratiquant une nouvelle "solution finale". (3) Comme à Stalingrad, nous allons héroïquement repousser tous ces agresseurs nazis, quel qu'en soit le prix en vies humaines. (4) S’il le faut, pour sauver notre peau, nous utiliserons l’arme nucléaire. Voilà. Je n'ai rien oublié d'essentiel ?

Là où Vladimir Poutine montre qu’il n’est pas très intelligent, c’est quand il répète jour et nuit que les Européens, en particulier les Allemands, sont d’authentiques "nazis" qui veulent "exterminer" les Russes en leur appliquant la "solution finale". En développant à l'envi cette paranoïa déconcertante, Il donne lui-même à la guerre qu'il mène en Ukraine la dimension qui lui manquait pour s’inscrire dans la folle histoire du nazisme – et pour que les historiens, demain, puissent raisonnablement comparer Poutine à Hitler.

La décision des Occidentaux de livrer des chars lourds aux Ukrainiens relance le débat sur l’ "escalade" du conflit. On voit revenir, à la télé, quelques stratèges ambigus, militants antiaméricains, penseurs anticonformistes et autres provocateurs médiatiques qui conseilleraient volontiers à l’Ukraine de cesser de se défendre et d’abandonner tout ou partie de son territoire à Vladimir Poutine. Osera-t-on rappeler à ces pacifistes qu’il y a un moyen très simple de mettre fin à cette guerre meurtrière : c’est que les soldats russes rentrent chez eux ! Est-ce si compliqué à comprendre ?

Avez-vous entendu le ministre russe des Affaire étrangères, le très distingué Serguei Lavrov, déclarer sans rire que les Européens, "comme ils l’ont déjà fait sous la conduite de Napoléon puis d’Hitler", veulent "conquérir la Russie" et lui appliquer la "solution finale" ? La solution finale !!! Monstrueux ? Débile ? Absurde ? Depuis onze mois, Poutine et ses sbires, tout en bombardant l’Ukraine jour et nuit, expliquent ainsi à leur peuple qu’ils sont attaqués par les nazis ukrainiens, bras armé de l’Otan, etc, etc. Et le pire, c'est qu'une majorité de Russes, lobotomisés par des années d'agitprop, avalent toutes ces inepties !

Les amoureux de la Russie, dont je suis, n’en reviennent pas d’un tel désastre ! En onze mois, le tchékiste Poutine a réduit ce pays à un immense espace pauvre et inculte habité par 150 millions de zombies apathiques qui approuvent, par peur, les innombrables crimes de guerre accomplis par les mafieux qui les gouvernent. Bombarder, détruire, tuer, raser, corrompe, mentir, punir : tel est l’insupportable credo de ces nouveaux barbares qui transforment la Russie, inéluctablement, en une immense Corée du Nord. Amis russes qui n’êtes pas partis à l’étranger, sachez qu’on pense à vous !

Depuis onze mois, nombre de Français se sont habitués à regarder, de temps en temps, la télévision russe – par exemple sur Russian Media Monitor. Et ils s’interrogent de bonne foi : tous les Russes sont-ils débiles à ce point ? Bêtises insignes, propos incultes, simplifications grossières, mensonges infantiles... Imaginez qu’un seul des chroniqueurs habituels de Russia-1 soit invité sur BFMTV ou sur LCI, il créerait un sacré malaise ! Certes, dire que la plupart des propagandistes russes sont des crétins n’est pas politiquement correct, mais, franchement...

Que d’inexactitudes et d’approximations, sur les chaines d’info, à propos du cessez-le-feu que Poutine a proposé le jour du Noël orthodoxe ! Quand l’inculture religieuse le dispute à la méconnaissance de la Russie, cela n’aide pas à l’explication du conflit. Comment comprendre cette "trêve" sans connaître la différence entre un catholique ukrainien, un orthodoxe ukrainien et un orthodoxe russe ? Entre la Nativité et l’Epiphanie ? Entre Rome et Byzance ? Entre calendrier julien et calendrier grégorien ? Entre foi populaire et culte identitaire ?

La candeur des médias européens est émouvante. Les voilà tous à se demander gravement si le cessez-le-feu "orthodoxe" ordonné hier par Poutine est une réalité, et s’il pourrait donner lieu à une négociation ! Cela fait onze mois, pourtant, que Poutine baratine, manipule, change de pied et se fiche du monde ! Qui croit une seconde à la sincérité de l’appel du patriarche Kirill, bras religieux du FSB ? Il s’agit évidemment d’expliquer aux Russes que ces dégénérés d’Ukrainiens ne respectent rien – et qu’ils sont, c’est flagrant, des suppôts de Satan !

A propos de l’Ukraine, on distingue deux sortes d’ "experts" dans les médias. 1) Ceux qui n’ont jamais mis les pieds en Russie et qui analysent doctement le conflit actuel de façon rationnelle : leur méconnaissance de ce pays déconcertant leur fait dire beaucoup de bêtises. 2) Ceux qui ont vécu en Russie, qui en parlent la langue, qui en connaissent la déraison, et qui savent que les Russes n'accepteront jamais de négocier autre chose que la capitulation de l’Ukraine – quoi qu'il arrive et même si cela doit prendre dix, vingt ou trente ans. Même si cela vous casse le moral, écoutez plutôt les seconds…

Au 300ème jour de l’invasion de l’Ukraine, beaucoup de commentateurs ont encore du mal à admettre que les Russes ne pensent pas comme nous. Nous, les Européens, sommes le produit d’une histoire nourrie de la pensée gréco-romaine, du christianisme médiéval, de la Renaissance et des Lumières. La Russie profonde n’a pas cet héritage. Nos valeurs sont : la raison, la vérité, le droit, la primauté de la personne, la liberté de l’individu, etc. Les Russes, sauf exceptions, ne les partagent pas. Il serait temps de le comprendre si on veut, un jour, mettre fin à la guerre…

Je raconte longuement dans mes Secrets du Kremlin (chap 17) comment Poutine retourne systématiquement contre les Européens, jusqu’à l’absurde, façon George Orwell, toutes les accusations portées contre lui. La dernière en date est magnifique : le Parlement européen ayant solennellement qualifié la Russie d’ "Etat promoteur du terrorisme", voilà que le chef de la milice Wagner, qui terrorise, en sus de l’Ukraine, tous les pays du Sahel, vient de demander à la Douma russe de déclarer la France "Etat promoteur du terroriste". Comme d'hab : c'est çui qui dit qui l'est ! Les Russes, décidément, n’ont aucune imagination.