Le blog de Bernard Lecomte

Il fallait s’y attendre : le nouveau gouvernement Barnier croule sous les critiques de l’extrême-droite (RN) et de la gauche radicale (NFP). Qui lui font, de tweet en tweet, depuis hier soir, trois reproches péremptoires : 1) cette équipe gouvernementale signifie le retour de la macronie ; 2) elle traduit le triomphe de la droite LR ; 3) elle trahit l’ "extrême-droitisation" du pouvoir. Que ces trois critiques s’annulent parce que parfaitement contradictoires ne semble pas troubler les commentateurs…

Qu’entends-je ? Une ministre serait interdite de gouvernement pour s’être opposée jadis au "mariage pour tous" ? Petit rappel : en avril 2013, 54 % des Français étaient contre la loi Taubira – la quasi-unanimité des partis de droite et du centre, tous les représentants des grandes religions, l’immense majorité de la population des DOM-TOM, l’Académie de médecine, l’Union nationale des Associations familiales, le Défenseur des Droits, le Comité national d’éthique, et d’innombrables personnalités non catholiques, de Michel Rocard à Simone Veil. Tous des fachos, on vous dit !

Je rigole. Les mêmes journalistes qui annonçaient hier, à l’unisson, la probable et imminente démission de Michel Barnier, portent aux nues, ce matin, la "méthode Barnier" (sic) qui permet de composer un gouvernement pluriel dans l’hostilité générale. Etonnant, ce Barnier ! Combien de mes estimés confères ont lu, par curiosité, le livre La grande illusion (Gallimard, 2021) où le même Barnier raconte comment il a négocié le Brexit ? Aucun, évidemment.

Tous les médias, hier, à la même heure, ont évoqué la possible démission de Michel Barnier, vaincu par la quasi-totalité des chefs de parti. En se gardant de préciser un détail : sur les quatre partis censés soutenir le nouveau Premier ministre (Renaissance, Modem, Horizons, LR), trois dépendent, sur le papier, du président de la République. Question : Emmanuel Macron est-il conscient qu’une démission de Barnier serait un formidable échec pour lui-même ? Si le chef de l’Etat n’a plus de pouvoir sur ses propres troupes, à quoi sert-il ?

Mélenchon et ses affidés du NFP censureront Barnier quoi qu’il arrive. Pour Marine Le Pen et le RN, ce n’est qu’une question de temps. Attal (Renaissance) ne le soutient que du bout des doigts. Darmanin (Horizons) et Fesneau (Modem) multiplient les conditions de leur soutien. Vauquiez (LR) lui oppose de méchantes "lignes rouges". Tous ces gens se fichent complètement de la situation catastrophique où est la France. Heureusement, dans ce marigot, il reste Emmanuel Macron. Emmanuel qui ?

Que prépare Michel Barnier ? Il se dit qu’il pourrait créer un secrétariat d’Etat à l’immigration, mais ce n’est pas sûr. Il pourrait augmenter certains impôts, mais rien ne le garantit. Il devrait nommer plein de ministres LR, mais il peut n’en nommer aucun. Il souhaiterait élargir son gouvernement à des personnalités de gauche, mais on n’en a aucune confirmation. En fait, on ne sait rigoureusement rien sur ce que va faire le nouveau Premier ministre, ce qui relativise sérieusement toutes les polémiques qui surgissent tous les matins et s’évanouissent chaque soir sur les chaines d’info…

La politique fait loucher. D’un côté, il y a Michel Barnier qui fait le tour des partis pour constituer son gouvernement dans l’esprit de tirer la France du mauvais pas politique et financier dans lequel elle se trouve en cette rentrée 2024. De l’autre, il y a la plupart des chefs de parti (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Edouard Philippe, Gabriel Attal, Laurent Wauquiez) qui calculent leurs coups exclusivement en fonction de la présidentielle de 2027. Etonnez-vous que les intérêts des uns et des autres coïncident rarement !

Regarder la télé, en ce moment, ne manque pas de saveur. Tous ces commentateurs, journalistes, experts et chroniqueurs qui, à 98 %, n’avaient même pas imaginé l’arrivée de Michel Barnier à Matignon, ne cessent d’expliquer savamment, doctement, gravement, dans quelles conditions le Premier ministre va être censuré, critiqué, trahi, écarté, étrillé, contesté, et par qui, et quand, et comment, etc. Si Barnier est encore à Matignon dans deux ans, il faudra ressortir tous ces propos très informés…

Comme s’ils avaient brisé le même tabou, tous en chœur, les grands médias saturent soudain nos écrans en glosant sur la présence, dans le futur gouvernement Barnier, d’un éventuel ministère de l’immigration. Réaction commune : "Vous voyez bien que c’est Marine Le Pen qui tient les rênes !" Aucun journaliste ne s’étend sur le fait que 80 % des Français souhaitent que le gouvernement se saisisse du sujet, et, surtout, aucun ne rappelle que ce "honteux" département ministériel… a été fondé en juin 1981 par François Mitterrand !

Sortons un instant des piapias médiatiques. En fait, Michel Barnier ressemble à la France : la seule vraie menace qui pèse sur lui est une alliance entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Ni le RN ni LFI ne peuvent le censurer séparément. Or, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont prêts à tout pour s’affronter en 2027, chacun étant persuadé qu’il battra l’autre. Oseront-ils faire alliance, en dépit de tout ce qui les sépare, pour accélérer le processus ? J’ai trop écrit sur l’histoire du pacte germano-soviétique d’août 1939 pour ne pas être prudent…

Les dirigeants socialistes sont quand même gonflés ! Ils défilent sur les chaînes d’info en expliquant d’un air furibard qu’ils censureront Michel Barnier en tant qu’épouvantable homme de droite… alors qu’il leur suffisait, pour éviter un gouvernement ancré à droite, de soutenir la candidature du social-démocrate Bernard Cazeneuve ! Cette colossale erreur stratégique d’Olivier Faure, le PS va mettre longtemps à la regretter, condamné qu’il est à subir l’emprise de Jean-Luc Mélenchon…

La surprise, le miracle, le coup de poker, c’est Michel Barnier ! Je rigole en voyant les jeunes journalistes découvrir, au fil des heures, le CV du nouveau Premier ministre : ses mandats électifs régionaux, ses années à l’Assemblée nationale, ses nombreuses expériences ministérielles, ses mandats européens – dont la gestion du Brexit – qui en font un politique expérimenté et, au sens littéral, un homme d’Etat. Restent deux ou trois confrères incultes ou aveugles qui le qualifient de "haut fonctionnaire" et qui feraient mieux, franchement, de changer de métier !

Quand Michel Barnier, hier, sur BFM-TV, suggère de traduire le dictateur Loukachenko devant la Cour pénale internationale (CPI), il sait que Vladimir Poutine s’y opposera, évidemment. Mais il s’agit de faire comprendre que le Biélorusse, en utilisant des migrants comme arme de guerre,  commet l’équivalent d’un crime de guerre. En outre, Poutine le couvre (les deux hommes sont tous les deux des anciens du KGB) mais... jusqu’à quand ? On parie que le FSB russe, le jour venu, donnera l'ordre au KGB biélorusse de remplacer fissa ce dictateur de plus en plus encombrant aux yeux du Kremlin ?

Si l’on écoute les journalistes spécialisés, Michel Barnier devrait l’emporter au congrès LR en décembre. S’il crée une dynamique en faisant un "ticket" avec Pécresse, et si Zemmour et Le Pen s’annulent l’un l’autre, Barnier a une chance sérieuse d’arriver au second tour. Si Macron suscite un rejet de la part d’une majorité d’électeurs, Barnier sera élu président de la République. Si Macron est battu, le parti LREM disparaîtra en quelques semaines, et c'est le parti d'Edouard Philippe qui gagnera les législatives. Si c’est le cas, Philippe imposera Le Maire à la tête du gouvernement, ce que Barnier ne pourra refuser. Barnier à l’Elysée, Le Maire à Matignon ? Avec des si…

Retour d’Auxerre où le député Guillaume Larrivé avait invité Michel Barnier sur le thème de la "réconciliation des Français", loin de l’incroyable ramdam médiatique qui accompagne la progression d’Eric Zemmour dans les sondages. Suis frappé par l’enjeu majeur de cette campagne, que les chaînes d’info n’ont pas encore mesuré : que le prochain président soit Macron, Bertrand, Pécresse ou Barnier, sur quelle majorité s'appuiera-t-il ? Un parti croupion comme LREM, ou un rassemblement inédit du centre et de la droite ? Sera-ce une alliance réfléchie et négociée ou une cohabitation sauvage ? Oui, je sais, on est loin de Pétain et des prénoms français… 

A force de s’étriper sur Eric Zemmour, le régime de Vichy et les prénoms français, mes confrères et amis journalistes oublient de poser une question toute simple, qui sera pourtant, en 2022, la seule qui vaille : parmi les candidats aux présidentielles, lesquels ont les qualités nécessaires pour piloter la France face à la Chine, dans le Pacifique, au Mali et au sein de l’OTAN ? Eliminés d’emblée : Poutou, Arthaud,  Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Montebourg, Ciotti, Zemmour, Dupont-Aignan et Philippot. Un peu justes aussi : Le Pen et Pécresse. Limite-limite : Bertrand. Restent deux "présidentiables" : Macron et Barnier. Je me trompe ?

Personne n’ose prononcer le mot, dans les rangs du parti LR, alors que ce serait la meilleure solution pour se doter d’un patron aux présidentielles – et d’en faire, d'un coup, un candidat crédible. Vieux comme le monde, c’est le seul système qui rassemble au lieu de diviser – tout le contraire d’une primaire ! La pratique est simplissime : on enferme "à clef" les principaux responsables et rivaux d’une institution et on ne les libère que s’ils se sont mis d’accord, dans le plus grand  secret, sur leur chef – que tous s’engagent à suivre. La "fumée blanche", vous vous rappelez ? Cela s’appelle un conclave. Et cela fait deux mille ans que cela fonctionne !

C’est la troisième erreur stratégique de Macron vis-à-vis de l’Europe. La première, c’était d’avoir poussé Nathalie Loiseau à la tête du groupe centriste (alors qu’à l’évidence, elle n’était pas au niveau). La seconde, c’était de ne pas avoir soutenu prioritairement la candidature de Michel Barnier à la tête de la Commission européenne (alors que lui, au contraire, aurait fait l’unanimité). La troisième, c’est d’avoir voulu imposer Sylvie Goulard comme commissaire (alors qu’elle avait des casseroles rédhibitoires). Cela fait beaucoup. Il est loin, l’espoir que le jeune président français rehausse le prestige de la France en Europe, et de l’Europe dans le monde !

L’info fait à peine un entrefilet ici ou là : la France a raté d’un cheveu, hier, à Dublin, une belle occasion de présider la Commission européenne. Pour remplacer Barroso, le PPE a préféré Jean-Claude Juncker (Luxembourg) à Michel Barnier par 382 voix contre 245. Il faut dire que ni les dirigeants ni les médias, chez nous, n’ont soutenu Barnier – trop occupés, sans doute, à se déchirer à coups d’affaires sordides. Vous étiez au courant, vous, de cette élection cruciale pour notre pays ? Allons ! Présider l’Europe, quelle importance ? Laissons cela aux autres, et retournons à nos petites règlements de compte suicidaires !

Entendu Michel Barnier, ce dimanche soir, sur Europe 1. Précis, véhément, passionné, efficace. Si tous les hommes politiques européens parlaient de l’Europe comme lui, l’Irlande aurait voté oui. Je retiens : que le "non" irlandais n’est qu’un "incident" et qu’il faut aller de l’avant ; que Sarko aurait présidé l’Europe, de toute façon, avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ; que si les Européens ne s’unissent pas, ils n’auront bientôt plus voix au chapitre sur leurs propres affaires énergétiques, alimentaires ou autres. Mais surtout : que les hommes politiques français ne font pas leur travail d’explication sur les sujets européens ; que les Français se croient toujours "à côté" de l’Europe alors qu’ils sont "dedans". Il a raison, Barnier : pour être dedans, on est dedans !