Le blog de Bernard Lecomte

Il y a vraiment quelque chose de choquant dans le procès à grand spectacle qui va juger la confusion, entretenue ou non, entre les assistants parlementaires français et européens des élus du Front national entre 2004 et 2016. Que cette confusion pose problème, soit. Mais que de simples juges, qui ne sont élus par personne, s’apprêtent à décider souverainement que Marine Le Pen pourra ou non se présenter au suffrage populaire lors de l’élection présidentielle de 2027, est proprement ahurissant !

La politique fait loucher. D’un côté, il y a Michel Barnier qui fait le tour des partis pour constituer son gouvernement dans l’esprit de tirer la France du mauvais pas politique et financier dans lequel elle se trouve en cette rentrée 2024. De l’autre, il y a la plupart des chefs de parti (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Edouard Philippe, Gabriel Attal, Laurent Wauquiez) qui calculent leurs coups exclusivement en fonction de la présidentielle de 2027. Etonnez-vous que les intérêts des uns et des autres coïncident rarement !

Comme s’ils avaient brisé le même tabou, tous en chœur, les grands médias saturent soudain nos écrans en glosant sur la présence, dans le futur gouvernement Barnier, d’un éventuel ministère de l’immigration. Réaction commune : "Vous voyez bien que c’est Marine Le Pen qui tient les rênes !" Aucun journaliste ne s’étend sur le fait que 80 % des Français souhaitent que le gouvernement se saisisse du sujet, et, surtout, aucun ne rappelle que ce "honteux" département ministériel… a été fondé en juin 1981 par François Mitterrand !

Sortons un instant des piapias médiatiques. En fait, Michel Barnier ressemble à la France : la seule vraie menace qui pèse sur lui est une alliance entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Ni le RN ni LFI ne peuvent le censurer séparément. Or, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont prêts à tout pour s’affronter en 2027, chacun étant persuadé qu’il battra l’autre. Oseront-ils faire alliance, en dépit de tout ce qui les sépare, pour accélérer le processus ? J’ai trop écrit sur l’histoire du pacte germano-soviétique d’août 1939 pour ne pas être prudent…

La population française, politiquement secouée, se demande ce qui va se passer en cet été 2024. Mais depuis ce mardi soir, l’ensemble de la classe politique se demande, elle, ce qui va se passer en 2027 ! C’est la seule date qui compte pour Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure, Gabriel Attal, Edouard Philippe, Gérald Darmanin, Laurent Wauquiez et beaucoup d'autres. Si vous ne comprenez pas qui fait quoi, cette semaine, à l’Assemblée nationale, sautez trois ans, vous aurez la réponse !

Vu les télés, écouté les radios, balayé les chaines d’info ? A l’évidence, l’information principale de ce scrutin a globalement échappé aux commentateurs : ce dimanche, près de 12 millions de Français ont voté pour le RN – qui ne sont pas, pour la majorité d’entre eux, de dangereux fachos racistes. Et si, au lieu de continuer à ignorer, mépriser ou insulter ces 12 millions d’électeurs, les médias parisiens se demandaient enfin, sérieusement, sereinement, pourquoi ils ont voté comme ça ?

 Les députés français ont débattu de la guerre en Ukraine, enfin ! Que restera-t-il de ce débat, à part les vociférations imbéciles de quelques crétins incultes ? Un bon discours de Gabriel Attal, d’abord. Et aussi le refus assumé des deux partis extrémistes de soutenir l’aide à l’Ukraine : le "non" de LFI, qui confirme sa fascination pour Poutine ; et l’abstention du RN, qui ne se résout pas à condamner franchement le dictateur du Kremlin. Voilà, au moins, qui clarifie durablement les positions des uns et des autres.

Faut quand même être tordu pour appeler à faire l’union des Français contre l’antisémitisme en excluant de cet appel les 42 % de Français qui ont voté Marine Le Pen aux dernières présidentielles ! Qui ne voit que la diabolisation du RN, principal ciment de ce qui reste d’une gauche sans programme, laisse de marbre les jeunes générations ? Et que la figure de Jean-Luc Mélenchon (72 ans) est en train de remplacer, mine de rien, celle de Jean-Marie Le Pen (96 ans) là où le premier voulait cantonner le second : celle du vieux sectaire antirépublicain, antisémite et infréquentable ?

A chaque fois que les médias déplorent la "dédiabolisation" du parti de Marine Le Pen, je rigole. Qui a commencé à "dédiaboliser" le FN sinon les médias qui, pendant l’hiver 1983-84, ont soudain ouvert leurs plateaux et leurs micros à Jean-Marie Le Pen : France Inter (Face au Public), FR3 (Confrontations) et, surtout, Antenne 2 (L’Heure de vérité) ? Et quelques mois plus tard, qui a modifié le mode de scrutin pour faire entrer 35 députés FN à l’Assemblée nationale, sinon François Mitterrand ? Curieux comme le monde politico-médiatique manque de mémoire…

Voilà une nouvelle venue sur la scène politique. Elle s’appelle Marie Toussaint, elle a 36 ans. Le grand public ne la connait pas, mais c'est elle qui emmènera la liste EELV aux Européennes de l’année prochaine. Députée européenne sortante, juriste de profession, elle a, semble-t-il, l’expérience et la compétence. Hélas, trois fois hélas, dès sa première déclaration publique, elle s’est coupée des réalités environnementales en déclarant qu’elle allait "combattre frontalement l’extrême-droite". Et moi qui pensais que son but était de sauver la planète !

Emmanuel Macron est-il un génie ? Non. Son échec à faire voter sa loi le montre bien. Sauf qu’en face de lui, personne ne fait le poids. A son interview d’hier, ils ont tous répondu par des insultes ou des imprécations ("Menteur !", "Il se fout de nos gueules !", "Illégitime !"). Ils n’ont rien d’autres à dire, les Martinez (ras-des pâquerettes et hargneux), Le Pen (banale et pas sympa), Mélenchon (illuminé et haineux), Berger (pâlot et rancunier), Roussel (hâbleur et démago), Ciotti (petit et inexistant) et tous les autres… Quels autres, d’ailleurs ? Il est là, le problème de la France ! 

Dans mon chef-lieu bourguignon, le RN a remporté 64 % des voix au second tour des législatives. Est-ce à dire que les deux tiers de mes voisins sont de dangereux fascistes auxquels je ne devrais pas serrer la main ? De même, les 42 % de Français ayant voté pour la candidate RN le 24 avril sont-ils des héritiers d’Hitler et des suppôts du nazisme ? La plupart des dirigeants d’extrême-gauche refusent ostensiblement de modifier un iota au vieux discours antifasciste d’antan. Se rendent-ils compte que leurs anathèmes simplistes contribuent, hélas, à la popularité croissante de Marine Le Pen ?

Dans mon coin de l'Yonne, le second tour opposera un candidat RN à une candidate NUPES. Laquelle représente environ 3 % d’électeurs écolos (score local de EELV le 10 avril dernier) et quelque 20 % de partisans de Mélenchon ("la République c'est moi", "la police tue", etc). Voter pour cette candidate, fort respectable au demeurant, ce serait donc voter pour un parti extrémiste qui veut "renverser la table" sur le plan économique, et qui prône le "non alignement" de la France dans l’affaire ukrainienne. Rien que pour cela, je ne pourrai pas voter pour elle. Je voterai blanc. Et cela ne me réjouit pas.

C'est rigolo, la politique. Emmanuel Macron a été réélu président par 58,5 % des électeurs, mais, à écouter les commentateurs, il a quasiment perdu l’élection, son score est nul, sa légitimité est en cause, etc. Marine Le Pen, elle, avec 41,5 % des voix, explique, sans complexe, qu’elle va entraîner ses troupes "vers d’autres victoires". Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a perdu dès le premier tour, mais il se voit déjà... premier ministre ! On espérait un changement de génération politique, enfin, mais vous allez voir que ces deux-là, forts de leurs "victoires", se représenteront en 2027 pour la quatrième fois…

Après la défaite de son armée devant Kiev, la résurrection inattendue de l’Otan, la solidarité retrouvée des Européens, l’isolement du patriarcat de Moscou, la résistance héroïque de Marioupol et l’enlisement de ses propres troupes au Donbass, Poutine a essuyé une septième déconvenue, ce dimanche 24 avril : la défaite de sa candidate aux élections françaises, celle qui promettait d’arrêter les sanctions contre la Russie, de cesser les livraisons d’armes, de quitter l’appareil de l’Otan et de faire exploser l’Union européenne. Caramba, encore raté ! Même ça, il ne pourra pas s’en vanter le 9 mai…

D’accord avec l’excellent édito d’Alain Frachon dans Le Monde d’hier : la victoire électorale de Marine Le Pen, au soir du 24 avril, serait une formidable nouvelle pour Vladimir Poutine ! Un quadruple bienfait, en vérité : 1) Marine Le Pen est opposée aux sanctions qui frappent la Russie ; 2) elle veut cesser les livraisons d’armes à la résistance ukrainienne ; 3) elle veut dénouer le lien qui fait de la France un des principaux pays de l’Otan ; 4) elle veut briser la solidarité qui unit les 27 Etats de l’Union européenne… Mais c’est très exactement, point par point, ce dont rêve le maître du Kremlin !  

Marine Le Pen fait tout ce qu’elle peut pour faire oublier sa fascination pour Poutine. D’abord, depuis dimanche, elle se garde bien d'évoquer la guerre en Ukraine, y compris quand elle expose sa future politique étrangère. Ensuite, elle explique que "quand la guerre sera finie", elle poussera à un rapprochement entre l’Otan et la Russie – sauf que la guerre va durer longtemps, et qu’une alliance entre l’Otan et la Russie est désormais exclue, et pour longtemps ! En réalité, elle espère surtout que le bon peuple, obnubilé par son sacro-saint "pouvoir d’achat", oublie, d’ici le 24 avril, les malheurs de l'Ukraine…

Des nouvelles de la France rurale ? Chez moi, à Charny (89), où le revenu moyen par foyer est de 1.800 euros, Marine Le Pen écrase tout le monde (34,5 %) en arrivant loin devant Macron (25,96 %). Mélenchon fait un petit score (12,93 %) non compensé par le vote socialiste classique puisque Hidalgo ne remporte que 0,69 % des suffrages ! Rien à dire de Zemmour (8 ,17 %) et Pécresse (5,39 %) qui sont à leur niveau national. J’observe, en revanche, que la campagne, la nature et le grand air ne conviennent décidément pas aux écolos, le candidat Jadot ayant obtenu... 2,88 % des voix !  

La crainte de tous ceux qu’indigne la guerre en Ukraine, c’est que l’opinion publique, chez nous, se lasse de cette actualité aussi compliquée que déprimante. Déjà, les médias s’engouffrent dans la brèche populiste ouverte par Marine Le Pen : l’important, pour les Français, leur préoccupation première, qu'on se le dise, c’est le pouvoir d’achat ! C’est-à-dire le pouvoir d’acheter. De l’essence, certes, mais pas que. Des pâtes et du PQ, aussi. Et des smartphones, tout ça. C’est là-dessus que comptent ouvertement Poutine et ses idéologues : le besoin de consommer l’emportera toujours, en Europe, sur la volonté de résister.

Un petit vent froid vient d’envahir subrepticement, aujourd’hui, à Paris, les sphères politiques et les salles de rédaction : et si Marine Le Pen battait Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle ? Les sondages s’affinent, les chiffres se resserrent, et voilà que chacun voit devenir crédible, en se frottant les yeux, cette hypothèse jusqu’alors considérée comme impossible ! Et si la Covid et l’Ukraine avaient détourné notre attention d’un scénario aussi terrifiant qu’une pandémie mortelle ou une guerre en Europe ? Voilà qui donne le frisson, non ?