Le blog de Bernard Lecomte

C’est bien connu : les Français sont toujours plus intelligents que les autres. En Allemagne comme dans la plupart des pays d’Europe, on veut réguler l’immigration en doublant les frontières européennes par les frontières nationales : en France, le seul fait de parler d’immigration vous fait passer pour un facho ! En Italie comme dans la plupart des pays d’Europe, on réfléchit à porter l’âge de la retraite de 67 ans à 70 ans : en France, la volonté collective vise à le faire passer de 64 à 62 ou 60 ans ! Et si, pour une fois, on regardait tranquillement, sereinement, ce qui se fait ailleurs ?

Depuis trois mois, la plupart des discussions sur le financement des retraites finissent par cette admonestation magistrale : "Y a qu’à faire payer les riches !" Et voilà que depuis deux jours, toutes les infos sur le financement de la transition énergétique se terminent, elles aussi, par cette solution imparable : "Y a qu’à faire payer les riches !" Pour les gens de mon âge, c’est un revival fascinant de ce que disait Georges Marchais il y a cinquante ans : "Y a qu’à faire payer les riches !" Le monde est un éternel recommencement.

De manif en manif, la violence monte, s’impose et gangrène le jeu normal de la démocratie. Désormais, quand un policier blessé brûle sur le trottoir sous une pluie de pavés, des centaines de casseurs applaudissent devant les caméras ! Il faudra quand même qu’un jour, les parlementaires (qui font la loi) et les médias (qui font la morale) se posent la question : est-il normal qu’un type cagoulé et masqué, des boules de pétanque dans son sac à dos, venu spécialement dans la manif pour tuer du flic, ne puisse pas être arrêté, jugé et condamné à de la prison ? On en reparle le 6 juin !

Je lis dans Libé que le ministre de l’Intérieur, excédé, a déclaré : "Ce n’est pas la liberté d’expression que de protester par la violence, ce n’est pas un droit de l’homme que de vandaliser des propriétés !" Je lis que sur les manifestants arrêtés hier, 30 ultraviolents ont été envoyés en prison. Comme les activistes écolos qui ont bloqué le périphérique, hop, deux ans et demi de prison ! Comme ceux qui ont saccagé l’entrée d’un grand magasin, allez, en taule ! Ah, j'oubliais : je l’ai bien lu ce matin dans Libé, mais tout cela se passe en Angleterre…

La CGT a donc fait un bide spectaculaire, hier, au Stade de France. Les cadres de ce syndicat très minoritaire, intoxiqués par leur propre propagande, ont oublié que le peuple, en France, n’aime pas qu’on prenne en otage un match de football pour des raisons idéologiques ou politiciennes. Pour faire oublier leur échec, certains leaders CGT menacent de multiplier les actions illégales (coupures de courant, blocages de raffinerie) et de pourrir le Festival de Cannes, la Fête de la Musique, le 14 juillet, en attendant les Jeux Olympiques de Paris ! Vous comprenez pourquoi Marine Le Pen se frotte les mains ?

Les étrangers qui nous regardent n’en croient pas leurs yeux. L’ensemble des médias français, depuis hier, sont calés sur les sifflets que Macron risque d’entendre en allant saluer des joueurs de foot, ce soir, au Stade de France ! Et ne disent pas un mot sur la dramatique crise de Mayotte, ce département français dont les habitants appellent au secours et qui risque fort, en raison d'une immigration incontrôlable, d’être bientôt annexé par les Comores, sous la pression chinoise ! Ben oui, je sais, on ne peut pas parler de tout....

Dieu sait si je respecte la liberté des journalistes d’inviter qui ils veulent. Mais depuis quelques jours, le défilé systémique et obsédant des détracteurs, dénigreurs et autres contempteurs d’Emmanuel Macron devient très énervant. Un exemple : pourquoi la députée écolo Sandrine Rousseau dézingue-t-elle Macron deux ou trois fois par jour dans les grands médias alors qu’elle représente une sous-minorité (13 % des militants) du petit parti EELV (4 % des électeurs français), soit, en réalité, environ 0,4 % de nos concitoyens ? Y a pas un problème d'équilibre, là ?

Ce 17 avril, Jean-Luc Mélenchon a été condamné à 25 ans de prison pour s’être opposé au projet de réforme des retraites promulgué par Emmanuel Macron... Voilà une info inimaginable dans notre République si critiquée par… Jean-Luc Mélenchon, justement. Or ce matin, à Moscou, l’opposant Vladimir Kara-Murza, 41 ans, a bien été condamné à 25 ans de prison pour avoir exprimé son opposition à la guerre menée contre l’Ukraine par Vladimir Poutine – vous savez, Poutine, le dirigeant si admiré par Jean-Luc Mélenchon, précisément ! Ah ben oui, je sais, où va-t-on si on commence à comparer la France et le reste du monde !

Peu de Français lisent la presse étrangère, et c’est dommage. Car celle-ci n’en finit pas de s’étonner de la façon dont la France gère ses conflits sociaux. Et notamment son président. Oublié, le petit génie qui avait rendu jaloux tous nos voisins, en 2017, par sa jeunesse et son intelligence ! Macron a déçu tous les Européens par son incapacité à faire passer sa retraite à 64 ans, ce qui fait rire tous ces pays où la retraite est passée à 65 ou 67 ans sans provoquer de révolution. Ah ! La révolution ! La Bastille, le roi, la guillotine ! Sacrés Français, va !

Le Conseil constitutionnel, demain, pourra-t-il aller contre l’opinion des 70 % de Français opposés à la réforme des retraites ? Oui. Le Conseil dit le droit, rien que le droit. L’opinion, il s’en tamponne. Tout comme le Conseil d’Etat qui vient d’obliger le maire des Sables d’Olonne à déboulonner une statue de saint Michel (installée place Saint-Michel, devant l’église Saint-Michel) au nom de la séparation de l’Eglise et de l’Etat… alors qu’un référendum organisé en mars 2022 avait montré que 94,5 % des habitants voulaient le maintien de la statue à sa place ! Oui, 94,5 %, quand même. Dura lex…

La crise actuelle rappelle une autre crise, très intense, que les médias ont apparemment oubliée : le projet de loi Savary sur la suppression de l’école privée en 1983-84. Là aussi, le gouvernement s’était entêté, il avait une majorité de la population contre lui, les parlementaires s'étaient divisés, le Premier ministre avait choisi de passer par le 49.3, provoquant des manifs géantes (bien plus massives qu’aujourd’hui). Au point que le président de la République avait piteusement retiré le projet. Ah, oui, évidemment, cette fois-là, c’est la gauche qui s’obstinait, la droite qui manifestait et Mitterrand qui cédait…

Ce qui menace la démocratie, c’est quand les représentants du peuple sont incapables de se parler entre eux. Le petit jeu ridicule, digne d’une cour de maternelle, auquel se sont livrés le gouvernement et les syndicats ce mercredi, en est la triste illustration. Chacun de son côté, on disqualifie l’autre, on le diabolise, on l’insulte. L’autre, voilà l’ennemi ! Et on ne parle pas à un ennemi ! Cette immaturité des acteurs publics, gauche et droite confondues, mène forcément à la violence sociale. Or, c’est justement pour éviter la violence sociale qu’on a inventé la démocratie…

J’entends l’expression ici et là, à propos du maintien d’Elisabeth Borne à Matignon : "Il n’y a personne sur le banc de touche !" Si Macron ne remplace pas Elisabeth Borne, c’est qu’il n’a aucun remplaçant à portée de main. Darmanin, Le Maire ? Grillés. Véran, Dupont-Moretti ? Carbonisés. Philippe, Castex ? Usagés. Bayrou, Raffarin ? Périmés. Woerth, Attal, Marleix ? Un peu justes. A gauche, personne au niveau. A droite, aucun fédérateur. Le banc de touche est désespérément vide. Je ne vois qu’une solution : faire appel à Didier Deschamps.

Les Français n’écoutent pas assez la télévision russe. Ils y apprendraient, images à l’appui, qu’en réalité, Macron, le "pétainiste" bien connu, est contesté par d'impressionnantes foules de manifestants "qui ne supportent pas le soutien que l''Etat français apporte aux nazis ukrainiens". A Macron, ce dictateur qui réprime son propre peuple, le présentateurs-vedette Vladimir Soloviev lance : "Macron ! Démissionne !" Et ses collègues d'expliquer en boucle que la France envahie par des hordes de rats et submergée par les poubelles en feu "devrait être rayée de la carte, cela ne dérangerait personne !"

La France tournée en ridicule dans tous les médias étrangers ! Déjà, dans tous les pays européens où l’on part en retraite à 67 ans, les Français étaient brocardés depuis plusieurs semaines. Déjà, les images de Paris envahie par les tas d’ordures défilaient, en boucle, à la une des télés du monde entier. Mais le fait que Macron ait dû décommander la visite du roi d’Angleterre a déclenché une vague planétaire d’articles humiliants pour les Français, ces insupportables donneurs de leçons incapables d’assurer l’ordre public dans leur propre pays. Et visiblement, ce n’est pas fini…

Le roi d’Angleterre invité à Versailles ? Macron est inconscient ! Le roi d’Angleterre est décommandé ? Macron est irresponsable ! La grève des éboueurs est reconduite à Paris ? C’est la faute à Macron ! Plus de gasoil dans la moitié des régions ? Macron est un provocateur ! Vitrines brisées, kiosque incendié, départs de feu par dizaines ? Macron est coupable ! Le feu à la mairie de Bordeaux ? Macron provoque son propre peuple ! Des milliers de jeunes rejoignent les manifestations ? Macron n'écoute personne ! La CGT appelle à durcir le mouvement ? Macron est criminel ! La sécheresse menace le pays ? Euh... J'ai un doute...

Ce sont pourtant de vraies questions. L’article 49.3, ratifié par 82 % du peuple en 1958, peut-il être vécu en 2023 comme un viol de la démocratie ? Déplacer le curseur de la retraire de 62 à 64 ans alors qu’il est à 67 chez la plupart de nos voisins, est-ce trop ou pas assez ? Le droit de grève est-il inférieur ou supérieur au droit d’aller et venir, au droit au travail et à la santé ? "Travailler plus pour gagner plus" est-il l’alpha et l’oméga dans nos sociétés ? De vraies questions… auxquelles on ne répond plus que par des insultes, des mensonges, des menaces, des blocages, des vitrines brisées et des mairies incendiées. Ça craint.

Emmanuel Macron est-il un génie ? Non. Son échec à faire voter sa loi le montre bien. Sauf qu’en face de lui, personne ne fait le poids. A son interview d’hier, ils ont tous répondu par des insultes ou des imprécations ("Menteur !", "Il se fout de nos gueules !", "Illégitime !"). Ils n’ont rien d’autres à dire, les Martinez (ras-des pâquerettes et hargneux), Le Pen (banale et pas sympa), Mélenchon (illuminé et haineux), Berger (pâlot et rancunier), Roussel (hâbleur et démago), Ciotti (petit et inexistant) et tous les autres… Quels autres, d’ailleurs ? Il est là, le problème de la France ! 

Le sujet est tabou : si le projet actuel ne passe pas, on fera comment, demain, pour payer les retraites d’une catégorie sociale, les inactifs, qui croît plus vite que celle des actifs, laquelle ne suffira plus à les financer ? Démographie oblige ! La France étant endettée au-delà du raisonnable, il faudra choisir : augmenter les impôts ou baisser les pensions ? Que l’opposition soit muette là-dessus, c’est logique. Mais que la majorité n’en parle pas non plus, à quelques exceptions près, c’est hallucinant. La transparence, la communication, le dialogue, la pédagogie, c’est pour les chiens ?

Emmanuel Macron s’est trompé. Il a cru qu’il pourrait contrôler la société française et réformer à sa guise parce qu’il n’avait, au fond, aucune opposition organisée (le FN, pas crédible) ni aucun rival avéré (Mélenchon, pas sérieux). Or sa véritable opposition n’est pas à l’Assemblée, mais dans la société elle-même. Et ses vrais rivaux (les Baroin, Bayrou, Philippe, Bertrand et autres Wauquiez) ne sont pas au Parlement, eux non plus, mais dans le pays, à la tête de collectivités locales. Résultat : aux moments difficiles, il n’a pu s’appuyer sur personne ! On ne gouverne pas seul contre tous…