Le blog de Bernard Lecomte

Faire barrage au RN : le projet, certes, est légitime. Tout faire pour que ce parti ne dirige pas le gouvernement de la France, bon. Mais j’entends rarement poser, sur les plateaux télé, la question fondamentale : si Matignon échappe à Bardella pour cause de majorité relative, si Macron se replie sur sa gauche, ou s’il installe une large coalition provisoire, ou s’il nomme un gouvernement de technocrates… que dit-on aux presque 12 millions d’électeurs qui ont voté RN ?

Ce mardi, c’est le jour des désistements, ces petites manœuvres partisanes inavouables qui consistent, pour un candidat LFI arrivé troisième dans une triangulaire, à inviter ses électeurs à voter pour Elisabeth Borne ou Gérald Darmanin, et, réciproquement, à un candidat macroniste de faire voter ses fidèles pour un candidat LFI comme David Guiraud ou Louis Boyard. Ce n’est pas joli-joli, la politique politicienne, quand elle prend les électeurs pour des débiles…

Non, non et non, je ne voterai pas pour le RN, représenté chez moi par un député totalement absent, inconnu des électeurs, simple marionnette incompétente et passive entre les mains du député d’à côté, Julien Odoul. Non, non et non, je ne voterai pas pour son adversaire auxerroise alliée à tous les Mélenchon, Obono, Poutou, Besancenot, Bompard et autres Rima Hassan – même pas en rêve ! Ma seule hésitation, à six jours du second tour, est de savoir s’il vaut mieux voter blanc ou voter nul…

Déception, inquiétude et perplexité. Chez moi, dans la 1^ère de l’Yonne, le résultat du premier tour est à la fois brutal et caricatural : plus de 40 % pour le député sortant RN, que personne ne connaît, qui ne sort pas de chez lui, qui refuse toute interview, qui ne connaît rien aux problèmes locaux… Qu’un tel député fantôme, inconnu de tous, recueille plus de 40 % des voix dès le premier tour est bien le signe que le vote RN n’est pas rationnel – ce qui ne veut pas dire qu’il faut le minimiser, au contraire !

Vu les télés, écouté les radios, balayé les chaines d’info ? A l’évidence, l’information principale de ce scrutin a globalement échappé aux commentateurs : ce dimanche, près de 12 millions de Français ont voté pour le RN – qui ne sont pas, pour la majorité d’entre eux, de dangereux fachos racistes. Et si, au lieu de continuer à ignorer, mépriser ou insulter ces 12 millions d’électeurs, les médias parisiens se demandaient enfin, sérieusement, sereinement, pourquoi ils ont voté comme ça ?

Selon les sondages, 66 % des électeurs français iront voter ce dimanche (ils étaient 47,5 % aux législatives de 2022). On a enregistré, en sus, plus de 2 millions de procurations. C’est une des rares bonnes nouvelles de cette période anxiogène. Car il ne s’agit pas de votants pro-Bardella ou anti-Bardella ou pro-Mélenchon ou anti-Mélenchon, mais de citoyens qui, toutes motivations confondues, estiment qu’en cas de chaos, ce sera à eux de faire fonctionner la démocratie – cet étrange régime où le peuple, qu'on se le dise, a le dernier mot.

C’est dans les grandes occasions électorales qu’on mesure le rôle de la presse écrite dans une société démocratique menacée par l’inculture, le simplisme, le populisme, voire le fanatisme. Qui pense sérieusement que c’est à la télé qu’on trouve les réponses aux questions fondamentales – immigration, sécurité, endettement, âge de la retraite, dissuasion nucléaire, Europe – lesquelles sont évidemment plus nuancées et plus complexes que les slogans, les mots-valises, les éléments de langage, les punchlines et les insultes ?

Les Français sont malheureux de ce qui leur arrive : instabilité, populisme, médiocrité, incertitude, risque de déclin, violences possibles, etc. Mais l’autre nuit, ils ont repris confiance en regardant, outre-Atlantique, le terrifiant débat Biden-Trump : un vieillard qui n’a plus sa tête contre un milliardaire inculte, vulgaire et sexiste. La politique est tombée si bas aux Etats-Unis qu’on se dit que la démocratie française, même abîmée par Macron, Bardella et Mélenchon, n’a pas encore touché le fond !

Chez moi, dans la 1ère circonscription de l’Yonne, je voterai pour Céline Bähr. Cette jeune femme enthousiaste, intelligente et expérimentée (adjointe au maire d’Auxerre et conseillère régionale) semble la seule capable de battre sur le fil, au second tour, le sortant Daniel Grenon (RN) un député fantôme, insignifiant, que même ses électeurs n’ont jamais vu ! Ce n’est pas le cas, au centre, du représentant de la Macronie, ni, à gauche, de l’écolo alliée à LFI (les écolos, dans l’Yonne, représentent entre 3 et 4 % des voix). Rendez-vous dimanche soir…

C’est quoi, le "ni-ni" ? C’est le contraire du "en même temps". C’est le refus de voter, même en désespoir de cause, pour des gens que vous considérez comme politiquement nuisibles. Pour ma part, je ne voterai jamais "ni" pour le RN fondé par Jean-Marie Le Pen, "ni" pour un NFP incarné par Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau, Fabien Roussel et Philippe Poutou. Pas question de voter pour des gens fondamentalement hostiles à la République démocratique et libérale. Le "ni-ni" n’est pas une question de tactique électorale, mais de valeurs, de culture et de conviction.

La France a peur. A 61 %, selon les sondages. Mais qu’est-ce qui a pris à Macron de parler de "guerre civile" ? Les Français sont déjà contrariés par cette dissolution absurde, effarés de cette course au pouvoir entre les extrêmes, inquiets de la menace de désordres à la veille des J.O., et voilà que leur président envisage une "guerre civile" ? Que des groupuscules ultras se préparent à casser du flic au nom de l’antifascisme de grand papa, c’est une évidence, presque une tradition. Mais où a-t-il vu, Macron, que la moitié des Français allaient se dresser contre l’autre moitié ?

Une triangulaire au second tour ? Ce pourrait être le cas, entre autres, de la 1^ère circonscription de l’Yonne, où je vote. Elle opposerait le favori Daniel Grenon (RN), député sortant, la candidate écolo Florence Loury (NFP), et la nouvelle figure de la droite auxerroise Céline Bahr (LR). Impossible, dans cette hypothèse, de prévoir ce que donnera le second tour, sachant qu’aucun des trois candidats encore en lice ne devrait se désister pour un autre. Et que ces diables d’électeurs sont imprévisibles.

A quatre jours du premier tour, les occasions de rire sont rares. Remercions donc Dominique Strauss-Kahn d’être brusquement sorti de son riad marocain pour inviter les Français à bien voter, c’est-à-dire à voter pour LFI – un parti anticapitaliste et propalestinien qui déteste évidemment tout ce que représente l’ancien patron du FMI. Le plus désopilant étant le tweet par lequel l’égérie féministe Sandrine Rousseau a salué le texte de DSK – avant de retrouver la mémoire et de l’effacer en catastrophe !

Il aura fallu que les sondages accordent 35 % au RN pour que la classe politique et les journalistes parisiens fassent mine de découvrir que 80 % des Français exigent, depuis des années, que l’immigration soit régulée. C’est parce que personne ne les écoute, à Paris, qu’une partie de plus en plus massive d’entre eux votent Bardella – on appelle cela un vote "protestataire". Même Macron, avant-hier, s’est mis à dénoncer les partisans de "l’immigrationnisme" : faut réduire le nombre d’immigrés, je me tue à vous le dire !

S’il y a un chef d’Etat qui attend le 7 juillet avec impatience, c’est bien Vladimir Poutine. Premier pronostic : le vainqueur est le RN, qui entretient avec le Kremlin des relations ambiguës, y compris sur le plan financier, et qui déteste l'OTAN. Deuxième vainqueur possible : LFI, qui n’a jamais considéré l’Ukraine comme un Etat à part entière, et dont les dirigeants ne savent pas placer la Crimée sur une carte. Et qui soutient aussi les Palestiniens. Le tout à 5 mois de la victoire de Trump aux USA. Sale temps pour les Ukrainiens !

Qui aurait pu prévoir, il y a encore trois semaines, la désespérante chute de popularité d’Emmanuel Macron ? Les Français sont déjà très inquiets de devoir choisir, le 7 juillet, entre la peste et le choléra, les voilà qui se demandent s’ils auront encore un président à la fin de l’année ! Que fera Macron face à un parlement ingouvernable, à un gouvernement de techniciens, à une Marine Le Pen pressée d’avancer l’échéance de 2027, s’il n’a plus que 20 % de popularité ? Au secours !

C’est fou le mal que se donnent les gens de gauche pour occulter, minimiser ou nier la volonté farouche de Jean-Luc Mélenchon de devenir Premier ministre, ce qu’il dit et répète à l’envi. Faut-il être naïf pour ne pas voir qu’au cas où le RN refuserait le poste pour cause de majorité relative, ce qui est l’hypothèse la plus probable, le chef de l’Etat serait obligé de se tourner vers le "Nouveau front populaire" ! Et qui domine ce groupe, sinon LFI ? Et qui LFI désignera pour le poste, sinon son leader naturel ?

L’un des phénomènes spectaculaires qui caractérisent la crise politique actuelle, c’est l’inculture abyssale de la nouvelle génération de leaders politiques. Quand on découvre à la télé, ces derniers jours, que Mathilde Panot, présidente du groupe LFI, ne sait pas où placer la Palestine sur une carte (sur Public Sénat) et ignore tout de la carrière de Léon Blum (sur RMC), on reste interloqué. Et effrayé. Car l’inculture et la bêtise, c’est prouvé, sont les deux mamelles du populisme et de la violence. Cqfd.

Quelques chiffres qui éclairent l’actualité électorale : 62 % des musulmans français ont voté pour la liste LFI ; en 5 ans, le nombre de femmes votant pour le RN a augmenté de 13 % ; 89 % des électeurs RN se déterminent à cause de l’immigration ; 6 % des auditeurs de France Inter ont voté pour Bardella (!) ; 23 % des électeurs inscrits à Paris ont voté Glucksmann ; 69 % des Français désapprouveraient l’entrée de Jean-Luc Mélenchon à Matignon…

Le plus effrayant, dans la crise que nous traversons, est sans doute la colère des braves gens contre le Président de la République. Que le RN et LFI vouent Macron aux gémonies, cela n’a aucune importance politique. Mais qu’à trois ans de la fin de son mandat, 74 % des Français soient durablement furieux contre lui, pestant contre cette dissolution irresponsable qui les jette dans l’inconnu, c’est inédit et très, très dangereux : un président impuissant et discrédité face à une situation ingouvernable, cela se termine comment ?