Le blog de Bernard Lecomte

L’Express fête ses 70 ans. La Croix fête ses 140 ans. Libération fête ses 50 ans… Tous ces anniversaires invitent à resituer les médias dans une longue histoire nationale faite de crises, de bouleversements, de polémiques, de mutations et de débats bien plus importants que les petites chikayas médiatiques dont on nous abreuve tous les jours. Ces journaux véhiculent une mémoire collective et carburent à la liberté. Sans une presse libre, une société se dessèche. Amis, pour rester vivants, abonnez-vous à un journal... celui que vous voudrez ! 

Qui fera amende honorable, qui avouera s’être trompé, parmi les centaines de journalistes ayant pronostiqué, commenté, disséqué, analysé, depuis des semaines, le départ d’Elisabeth Borne ? Le journalisme politique n’est plus ce qu’il était. Non pas que les générations précédentes ne se trompaient jamais dans leurs pronostics, mais il y a un phénomène qui frappe, aujourd’hui : c’est que les médias peuvent faire des tonnes sur les choix d’Elisabeth Borne, les invectives de Mélenchon, les ambitions de Darmanin, les silences de Wauquiez, les calculs de Marine Le Pen... au fond, tout le monde s'en fout !

Mettez-vous à la place d’un Polonais, d’un Sénégalais ou d’un Japonais qui suit l’actualité française à la télé. Il a vu, l’autre semaine, des milliers de jeunes cagoulés incendier des écoles et semer la terreur, dans tout le pays, à coup de mortiers d’artifice. Vendredi, sur les Champs Elysées, un défilé militaire d’une tenue impeccable et très applaudi par la foule. Hier soir, un exceptionnel concert au pied de la Tour Eiffel dans un Paris somptueux. Et chaque jour, un fol engouement populaire pour le Tour de France dans des paysages uniques au monde. Etonnant, ce pays, non ?

Il y a des injustices dont, curieusement, tout le monde se tamponne. Voyez le Tour de France. Savez-vous qu’au-delà de la 20è place du classement, les coureurs gagnent la somme mirifique de… 1.000 euros ? Sans compter, bien sûr, les gains de chaque jour : remporter une étape (11.000 euros), vaincre en haut d’un col (800 euros), porter le maillot jaune (500 euros) et autres primes qu'on partage avec son équipe. A l’arrivée à Paris, le troisième du classement gagne 100.000 euros ; le deuxième, 200.000 ; et le maillot jaune, 500.000 euros. C’est ce que gagne Mbappé en deux jours.

Voilà une nouvelle venue sur la scène politique. Elle s’appelle Marie Toussaint, elle a 36 ans. Le grand public ne la connait pas, mais c'est elle qui emmènera la liste EELV aux Européennes de l’année prochaine. Députée européenne sortante, juriste de profession, elle a, semble-t-il, l’expérience et la compétence. Hélas, trois fois hélas, dès sa première déclaration publique, elle s’est coupée des réalités environnementales en déclarant qu’elle allait "combattre frontalement l’extrême-droite". Et moi qui pensais que son but était de sauver la planète !

Formidable image que celle de l’immense foule des habitants de Vilnius acclamant massivement Volodymyr Zelensky et son épouse, ce mardi, à deux pas de la réunion des grands chefs de l’Otan. Un parfum de Solidarnosc. Faut-il rappeler que la guerre, ce n’est pas seulement l’affaire des diplomates, des militaires et des technocrates ? Les peuples de Lituanie et d’Ukraine, eux, connaissent l’histoire. Ils en ont bavé. Ils savent, dans leur chair, jusqu’où les Russes sont capables d’aller si leurs soldats ne sont pas repoussés hors d’Ukraine.

A dix minutes de chez moi, à la limite de l'Yonne et du Loiret, se joue un nouvel épisode de Dallas. A Douchy, dans la propriété très fermée où j’étais allé l’interviewer naguère, Alain Delon vieillit. Il a 87 ans. Et pour tout le monde, la vieillesse est un naufrage. Sauf que Delon n’est pas tout le monde. Nul ne sait exactement ce qui se trame entre son fils Anthony, leader de la fratrie, et sa compagne Hiromi, qui vit dans l'ombre de l'acteur depuis trente ans : emprise, menaces, abus, héritage, faiblesse, argent… Sur un tel sujet, une seule certitude : ne jamais croire ce que disent les gazettes !

Il ne manque pas d’air, le camarade Mélenchon, quand il dénie à Macron toute légitimité du seul fait qu’il n’a jamais été pauvre ! Lui, Mélenchon, entré très jeune en politique, a passé toute sa vie sous les ors de la République : conseiller général (1998-2004), sénateur (1986-2000), ministre (2000-2002), à nouveau sénateur (2004-2010), député européen (2009-2017), président de groupe à l'Assemblée (2017-2021), etc. Petite devinette : après trente ans d'indemnités publiques diverses, quelqu'un connaît-il le montant de la retraite du pauvre Méluche ?

Sacré Robert Ménard ! Non sans courage, le maire de Béziers pose une vraie question. La justice peut-elle forcer un maire à marier un Algérien repris de justice condamné à rentrer dans son pays par une OQTF, et dont tout porte à croire qu’il se marie pour bénéficier, dans trois ans, de la nationalité française ? La loi s'applique à tous, certes. Mais, précisément, imagine-t-on le maire de Béziers condamné à 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende (c’est ce qu’il risque) et le futur marié, lui, échapper à la décision d’expulsion ?

Il fallait s’y attendre. Aux parents incapables d’empêcher leur enfant de brûler des écoles et piller des bureaux de tabac, le préfet de l’Hérault [mon blog d’hier] a recommandé l’ancestrale méthode "Deux claques et au lit !". Eh bien ! Trois élus de la France Insoumise ont aussitôt attaqué en justice ce représentant de l’Etat. A ceux qui ne comprennent pas cet acharnement hystérique contre tout ce qui incarne la République, précisons qu’un des trois plaignants s’appelle… Martinet. Un vieux, vieux  traumatisme, sans doute.

Il fallait s’y attendre, l’événement est si déconcertant que les politiques ont du mal à dire des choses intelligentes. Entre le RN qui martèle que c’est la faute du gouvernement, LFI qui rêve de "convergence des luttes", les maires EELV qui réclament plus de police (!) et Macron qui avoue n’avoir rien compris au film, on est dans le n’importe quoi. Parfois, dans ce brouhaha incohérent, une formule fait mouche, comme celle du préfet de l’Hérault : "Deux claques et au lit !" Pour l’immense majorité des parents, y compris à gauche, c’est la voix du bon sens... mais chut ! Dire cela à la télé, c'est risqué !

Vu le spectaculaire rétropédalage de Jean-Luc Mélenchon, hier soir, sur LCI ? En répétant partout que "la police tue", le patron de la France Insoumise n’avait pas prévu que cinq nuits d’émeutes allaient l’exclure de ce qu’on appelle "l’arc républicain", ces partis de droite ou de gauche qui, toutes opinions confondues, défendent la République. Refuser d’appeler au "retour au calme", c’est politiquement suicidaire quand le peuple, lui, encourage sa police à protéger les mairies, les écoles et les médiathèques contre tous les factieux, black blocs, anars, casseurs et incendiaires de tout poil.

Comment faire pour que les parents empêchent leurs enfants de sortir la nuit pour aller brûler des voitures et casser du flic ? Le Code pénal (art. 227-17) prévoit que "le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende". Je ne suis pas juriste, je ne fais donc que poser une question, sans a priori : pourquoi cette loi n’est-elle jamais appliquée ? Si quelqu’un peut m’aider à comprendre…

Qu’est-ce qu’il avait pris, Jean-Pierre Chevènement, en 1999, quand il avait traité de "sauvageons" les mineurs multirécidivistes ! Une société est malade quand on ne peut plus dire les choses. Si les mots manquent, par peur ou par inculture, c’est la violence qui parle, imbécile et criminelle. Et si l’on qualifie cette violence de "colère", d’ "indignation" ou de "mal être", on contourne la réalité et on justifie, façon Mélenchon, les instincts les plus primaires des "sauvageons" d’aujourd’hui.

Ces milliers d’ados qui brûlent des autobus municipaux et pillent des magasins de téléphonie mobile, personne ne leur a appris, à l’évidence, la différence entre le bien et le mal. Leurs aînés, dont je suis, ont été dûment cadrés quand ils avaient leur âge : par les parents, la religion, les cours de morale à l’école, et les livres. Les parents sont visiblement dépassés, le catéchisme n’est plus, l’école court après la société du bien-être... Quant aux livres, n’en parlons plus : le porno sur TikTok a renvoyé dans un passé révolu les aventures de Croc-Blanc et du Club des Cinq. On est mal barrés.

Ce qu'on a du mal à comprendre dans l’affaire Prigojine, c’est que l'immense Russie est dirigée par 40 personnes qui se fréquentent étroitement, pour la plupart, depuis 30 ans : tous les Poutine, Patrouchev, Medvedev, Prigojine, Narychkine, Choïgou, Loukachenko, Peskov et autres Kirienko se connaissent absolument par cœur. Quand l’un d’entre eux pète un plomb, il suffit de quelques coups de fil pour régler l’incident et rétablir en secret les équilibres internes de cet Etat mafieux dirigé par un petit groupe qu’on appelle, littéralement, une oligarchie..

Il ne s’est rien passé à Moscou samedi. Vladimir Poutine vous l’a bien dit, ce matin : personne ne sera poursuivi pour trahison, tout va bien en Russie ! Evgueni Prigojine vous l’a confirmé : il n’a jamais voulu faire de putsch, et tout va pour le mieux. En Ukraine, la guerre continue comme avant. La presse russe confirme, les chancelleries étrangères aussi. Un peu de chahut politique, allez, c’est déjà oublié. Quant à la population, elle n'a rien vu, elle est comme son armée : elle attend de savoir à qui elle obéira demain. A l’est, rien de nouveau…

Quand Prigojine annonce qu’il n’ira pas jusqu’à Moscou pour éviter "un bain de sang", il faut le croire. "Verser le sang" (пролить кровь), c’est la chose que le peuple russe, depuis la nuit des temps, ne pardonne pas. Demandez à Nicolas II, devenu le "tsar sanglant" en 1905. Demandez au chef du KGB Krioutchkov, qui arrêta le putsch pour ne pas tirer dans la foule en 1991. Demandez au général Routskoï, l’insurgé de la Maison blanche en 1993. Oui, je sais, cela peut sembler irrationnel dans une société aussi violente que la société russe, mais c’est ainsi. On peut tout faire, mais pas "verser le sang".

Quand Poutine a massé son armée aux frontières de l’Ukraine, on a dit : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne vont quand même pas aller bombarder Kiev !". Quand ils ont miné le barrage de Kakhovka, on a dit : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne vont pas inonder tout le sud du Dniepr !" Aujourd’hui, les soldats de Poutine ont miné la centrale nucléaire de Zaporijia, et on entend les mêmes dire : "Les Russes ne sont pas des barbares, ils ne feront pas une chose pareille !" Y a un moment, hélas, où il va bien falloir appeler les Russes par leur nom…

Plongé dans les Mémoires d’Edouard Chevardnadzé, ministre et ami de Mikhaïl Gorbatchev, fer de lance de la perestroïka de 1985 à 1990. Fasciné de lire qu’il avait prévu le putsch des conservateurs en entendant ceux-ci lui reprocher vivement, lors de la réunification allemande : d’avoir rapproché de la Russie la frontière orientale de l’OTAN (déjà) ; d’avoir trahi la mémoire des vainqueurs du nazisme (déjà). Il faut toujours remettre les choses en perspective : si Vladimir Poutine faisait demain en Russie un référendum en faveur de la reconstruction du Mur de Berlin, il le gagnerait.